Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

Jean Dormoy, le forgeron du 1er mai et les manifestations du 1er mai 1906

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Activité associée

Défilé rue de la République

Jean Dormoy, le forgeron du Premier mai

Le 1er mai est le seul événement syndical et social universel. C’est un moment historique marqué par les luttes, les revendications, le progrès social et la paix. La fraternité, la solidarité internationale et la fête caractérisent ce jour unique. Souvenons-nous que Jean Dormoy, qui fut le maire de Montluçon de 1892 à 1898, est à l’origine de la journée du Premier mai, cette fête du Travail célébrée dans le monde entier. Montluçon fut également le théâtre d’une grande manifestation le 1er mai 1906.

Pourquoi le 1er mai est-il le jour de la fête du travail ?

C’est aux États-Unis qu’il faut aller chercher les origines de cette célébration. En 1868, le gouvernement américain accordait la journée de huit heures à tous les journaliers, ouvriers, artisans employés par l’administration fédérale. Mais la loi ne fut pas appliquée. Aussi, en 1881, la Fédération américaine du Travail (A.F.L.) décide de passer à l’action. Au cours du IVe congrès de l’American Federation of Labor, en 1884, les principaux syndicats ouvriers des États-Unis se donnent deux ans pour imposer aux patrons une limitation de la journée de travail à huit heures.

Il est décidé qu’à partir du 1er Mai (date du renouvellement des baux) de l’année 1886, soit les patrons accepteront la journée de 8 heures, soit les ouvriers feront grève… La date du 1er mai constituait un symbole : elle correspondait au premier jour de l’année comptable des entreprises.

Le samedi 1er mai 1886 à Chicago, un mouvement revendicatif pour la journée de 8 heures est lancé par les syndicats américains. Une grève, suivie par 400 000 salariés, paralyse de nombreuses usines.

Peu à peu, le mouvement devient mondial

Le 20 juin 1889, lors du congrès de la IIe Internationale socialiste réuni à Paris pour le centenaire de la Révolution française, il est décidé de faire du 1er mai un jour de lutte à travers le monde avec pour objectif la journée de huit heures. Dès 1890, les manifestants arborent un triangle rouge symbolisant leur triple revendication : 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisirs. En 1891, lors d’une manifestation à Fourmies dans le nord de la France, le mouvement dégénère, et les forces de l’ordre tirent sur la foule. Une jeune femme portant une églantine est tuée. Le triangle rouge est alors progressivement remplacée par une fleur d’églantine rouge.

La fête du travail

23 avril 1919 : Le sénat français ratifie la loi instaurant la journée de huit heures, et la Haute Assemblée déclare officiellement le 1er mai 1919 « journée chômée ». Dans les années qui suivent, le 1er mai s’impose peu à peu comme un rendez-vous pour les ouvriers, et comme un jour de grève. Mais c’est le 1er mai 1936 qu’auront lieu les plus grandes manifestations, qui marqueront durablement l’imaginaire français.

Le 24 avril 1941, en pleine occupation allemande, le 1er mai est officiellement désigné comme « jour de fête » par le gouvernement de Vichy qui espérait ainsi rallier les ouvriers ; le jour devient chômé. C’est donc le régime de Vichy qui désignera officiellement le 1er mai comme « Fête du travail ».

Le 26 avril 1946, le gouvernement reconnaît officiellement le caractère chômé du 1er mai. Il n’est dès lors plus un jour de grève, mais ce n’est qu’en 1948 qu’il devient « férié et chômé ».

Aujourd’hui, la Fête du Travail est commémorée par un jour chômé dans la plupart des pays d’Europe à l’exception notamment de la Suisse et des Pays-Bas.

Le muguet du 1er mai.

Le 1er Mai, Journée internationale des travailleurs, est aussi la « fête du muguet ». Chaque année, la tradition veut que l’on offre des petits brins de cette fleur à des proches. Plusieurs anecdotes historiques font remonter cette tradition à l’époque de Charles IX.

Le 1er mai 1560, le roi, accompagné de sa mère Catherine de Médicis, se serait vu offrir un brin de muguet lors d’une visite dans le Dauphiné. Il aurait tellement apprécié le geste qu’il aurait décidé d’officialiser cette coutume en offrant, chaque printemps, un brin de muguet aux dames de la cour.

Toutefois, offrir du muguet ne deviendra populaire que le 1er mai 1900 lorsque, lors d’une fête organisée par les grands couturiers parisiens, toutes les femmes reçurent un brin de muguet.

Le muguet Porte-bonheur

Dès lors, les couturières en offrent chaque année à leurs clientes. Christian Dior fit d’ailleurs de la fleur l’emblème de sa griffe. Ce n’est qu’en 1941, sous le maréchal Pétain, que le muguet est officiellement associé à la « fête du travail et de la concorde sociale » instaurée par le chef du régime de Vichy. Ce dernier préfère en effet la fleur blanche du muguet à l’églantine rouge, cette dernière étant à son goût trop associée à la gauche et au communisme. En fait, le muguet et la Fête du travail n’ont en réalité qu’un seul point en commun : le fait d’être célébrés le 1er mai de chaque année.

 

 

 

Dislocation après défilé

Jean Dormoy : Le forgeron du premier mai.

Abordons quelques instants la carrière de Jean Dormois (c’est l’orthographe de l’état-civil), qui marqua de son empreinte la vie syndicale et politique locale, nationale et même internationale puisqu’il fut à l’origine de la journée du Premier mai, cette fête du Travail maintenant célébrée dans le monde entier.

Aîné de cinq enfants d’une famille ouvrière, Jean Dormoy est né le 25 septembre à 1851 dans le Cher, à Vierzon, et plus particulièrement dans la partie sud de cette ville, nommée Vierzon-Villages.

Sorti de l’école primaire, il entre à treize ans aux usines de fer de Rozières (Cher), où il travaillera un an jusqu’à leur fermeture en 1865. Sa famille se dirige alors vers Montluçon, où elle s’installe en Ville-Gozet en 1865. À l’âge de 14 ans, il entre comme journalier aux usines Saint-Jacques.

Jean Dormoy

Mêlé à l’opposition républicaine, avec une poignée de militants, il participe au combat social dans les rangs de la Marianne et constitue un cercle des ouvriers républicains de Montluçon. Meneur syndicaliste et considéré comme un ennemi de l’ordre social et politique, il est licencié pour action politique et syndicale le 3 novembre 1880.

Socialiste de la première heure, ami de Jules Guesde qu’il héberge lorsque celui-ci vient encourager les grévistes de Commentry en 1881, Jean Dormoy mène une lutte syndicale intense et prendra par la suite  la direction du Parti Ouvrier Français (POF) fondé par Jules Guesde. En septembre 1882, il l’accompagnera lors une tournée de propagande dans l’Allier, avec Paul Lafargue.

Poursuivi avec ses deux compagnons devant les assises de Moulins, il sera condamné, le 26 avril 1883, à six mois de prison ferme pour « provocation au pillage des usines et de la Banque de France, à la pendaison des patrons et l’excitation à la guerre civile ».

L’ostracisme patronal qui lui fermait les portes des usines depuis sa condamnation aux côtés de Guesde le contraint à trouver une activité pour nourrir sa famille. D’abord cordonnier, puis marchand d’huile, il espère trouver dans ce commerce un gagne-pain et son indépendance, tout en lui permettant de continuer à propager ses idées dans le milieu des ouvriers.

En 1888, lors du 3e congrès de la Fédération nationale des syndicats réuni au Bouscat, il sera l’instigateur d’un projet visant à organiser une manifestation populaire dans le monde entier, projet porté ensuite par Raymond Lavigne lors du congrès ouvrier socialiste international de Paris. Dans la circulaire envoyée par la fédération à ses syndicats adhérents et qu’il rédigea lui-même, Jean Dormoy voyait dans ce projet une démarche énergique, générale et simultanée des travailleurs.

Depuis cette année 1888, Jean Dormoy est surnommé le « forgeron du 1er mai ». Mais il faudra attendre 1947 pour que cette journée devienne fériée.

Il entre au conseil municipal de Montluçon en 1888. Il sera élu maire de Montluçon suite aux élections municipales du 1er mai 1892 (date prémonitoire), poste qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1898. Il sera également conseiller général dans le canton de Montluçon-Ouest. Jean Dormoy vécut assez longtemps pour être témoin de l’ampleur croissante et parfois tragique de cette journée prolétarienne qu’il avait, le premier, préconisée. Tombé malade après la campagne législative de 1898, il mourut le 28 novembre 1898 dans la station pyrénéenne d’Amélie-les-Bains où il se soignait. Il ne connaitra donc pas l’aboutissement de son combat que constituera la manifestation du 1er mai 1906.

La manifestation du 1er mai 1906 à Montluçon.

En septembre 1904, à Bourges, le congrès de la « Confédération Générale du Travail » décide de faire du 1er mai 1906 le point d’aboutissement d’une grande manifestation en faveur des huit heures de travail quotidien. Pour cela, il lance la formule : « Le 1er mai 1906, les travailleurs cesseront d’eux-mêmes de travailler plus de huit heures ».

Cette date demeure célèbre dans les annales ouvrières montluçonnaises. En effet, elle fut marquée par une grève suivie d’un gigantesque défilé, suite au refus opposé par les employeurs montluçonnais à la demande de la journée de huit heures. L’arrêt de travail a été total dans toutes les usines.

Le 1er mai 1906, dès huit heures du matin, une foule énorme s’entassait à l’intérieur du théâtre-cirque, sur le quai Rouget de l’Isle et sur la place Fargin-Fayolle. Derrière les drapeaux des organisations rassemblées étaient groupés les militants socialistes : Paul Constans et Léon Thivrier, députés, Ernest Montusès, Alexandre Dormoy, Marx Dormoy… Chaque manifestant se retrouvait aux côtés de ses compagnons de travail, derrière la bannière de chaque syndicat. Un grand nombre d’ouvrières participaient à la manifestation ; parmi elles, celles très nombreuses venues de l’usine des faux-cols. De nombreux manifestants étaient accompagnés de leur famille, et nombre de leurs enfants les accompagnaient dans le cortège.

Des banderoles flottaient au dessus des têtes, portant des formules d’espoir :

« Nous voulons la normale ». C’est ainsi que l’on désignait la journée de huit heures.

         « Vouloir c’est pouvoir ; nous voulons donc la journée de huit heures ».

         « Les trois huit ! Travail ! Repos ! Loisirs ! Liberté ! Solidarité ! Justice !

A neuf heures, l’immense cortège s’ébranla. Le défilé débuta à partir du théâtre-cirque sur le quai Rouget de Lisle et parcourut les principales artères et quartiers de la ville. Durant tout le parcours et malgré des giboulées, les chants ne cessèrent pas. L’un d’entre eux avait beaucoup de succès : c’était « La Normale » (la journée normale), sur l’air de « l’Internationale » :

Nous voulons la normale,

         Ne plus être un bétail,

         Au nom de la morale,

         Huit heures de travail.

Le défilé a fait le tour complet des « deux villes », avec un arrêt devant les usines pour manifester. Départ quai Rouget de l’Isle ; après la traversée du pont Saint-Pierre, direction la route de Limoges, le quartier des Fours à Chaux, les Isles, retour vers le centre ville par la rue Barathon, le boulevard de Courtais où les commerçants avaient baissé le rideau, le pont une seconde fois, la rue de la République jusqu’à la place des Marais.

Défilé boulevard de Courtais

Là, le cortège, sans se disloquer, s’enroula en spirale autour d’une tribune où prirent la parole : Paul Constans, Christophe Thivrier, Latapie et Duchereux, ce dernier fraiseur aux ateliers de la Ville-Gozet, militant syndicaliste de valeur.

Puis le défilé reprit son cours, par les quartier des Marais, de Blanzat, de la Glacerie et le pont de la Verrerie, et il s’acheva devant l’édifice communal.

Les journaux Le Petit Parisien et Le Petit Journal indiquèrent le chiffre de 15 000 manifestants. Malgré la présence des ouvriers de toute la région, ce chiffre est sans doute excessif. Pour mémoire, la population de Montluçon était de 34 251 habitants en 1906. Il est vrai qu’un évaluation s’avère difficile pour un cortège semblable. Une estimation de 10 000 participants semble plus raisonnable. Quelques témoignages de l’époque mentionnent que depuis le chemin qui mène aux Isles, ont pouvait apercevoir les drapeaux de tête sur le pont des Isles et la queue du cortège qui venait tout juste de quitter la rue d’Argenty.

L’après-midi, la grève fut votée, et le mouvement se poursuivit dans le calme. Comme le relate l’écrivain Emile Guillaumin dans son livre « Baptiste et sa femme » : « Les hautes cheminées ne crachèrent plus leurs éternels panaches de fumée noire ; inactives, elles se dressaient vers le ciel comme des points d’interrogation : c’était la grève ! ». Seulement, cette grève-là a duré environ trois semaines, ce qui a beaucoup marqué les esprits…

 

Les forces de répression

Montluçon regorgeait de troupes. Les forces de l’ordre habituelles furent renforcées, dès le 28 avril, par un bataillon de 500 hommes d’infanterie, deux escadrons de cuirassiers à cheval, et 100 gendarmes.

Après le 1er mai, on fit venir 600 fantassins de Clermont Ferrand, 200 cavaliers de Saint-Éloy (pour remplacer les gendarmes). En effet, les autorités n’avaient pas confiance dans les jeunes militaires en garnison à Montluçon, car certains étaient originaires de la ville ou de ses environs. Du coup, la ville était en état de siège : toutes les usines étaient occupées par l’armée qui gardait les dépôts de machines, la gare, les voies de communications… Le quartier général des forces de l’ordre était installé dans l’usine Saint-Jacques elle-même.

On a frôlé la catastrophe

Un incident survint, qui aurait pu avoir de sérieuses conséquences sans l’intervention de Paul Constans, réélu député quelques jours auparavant : Un soir des derniers jours de grève, une foule énorme et dense de grévistes était massée à l’extrémité et aux abords du pont, côté Ville-Gozet. C’est alors qu’un important peloton de gendarmes à cheval, sabre à l’épaule et commandés par un lieutenant, sortit du faubourg Saint-Pierre. Occupant toute la largeur du pont, ils arrivèrent au contact avec les grévistes. Comme ceux-ci résistaient à la poussée des cavaliers, on sentait qu’une échauffourée allait se produire.

C’est alors que l’on vit accourir Paul Constans, ceint de son écharpe. Saisissant la bride du cheval de l’officier, il l’interpella énergiquement, lui faisant comprendre qu’il fallait absolument éviter cet affrontement. Du coup l’avancée fut stoppée et l’officier ordonna à ses hommes de remettre le sabre au fourreau. Alors Constans exhorta la foule. Trouvant les mots qu’il fallait, il fut follement ovationné, et réussit ainsi à faire dégager la chaussée.

 L’assiette au beurre

Le concept du journal satirique L’assiette au beurre était simple : chaque numéro était consacré à un thème. Le plus souvent, un seul dessinateur le réalisait. Le numéro du 28 avril 1906 était dédié à la manifestation prévue le 1er mai. Il était illustré par le peintre et affichiste Jules Grandjouan. Au premier plan, trois jeunes femmes nues tiennent une guirlande de fleurs dans laquelle se déchire la revendication des trois-huit.

l’Assiette au beurre

L’ouvrière qui symbolise le travail tient dans sa main une pioche et porte une coiffe inspirée de celle des « caffues », ces ouvrières du Nord qui triaient le charbon. La jeune fille du milieu est marquée par la jeunesse et l’insouciance propre au loisir ; celle de droite, les yeux baissés dans le repos, a la peau brune des femmes du peuple. À l’arrière-plan, on peut apercevoir un arbre en fleurs ainsi qu’une foule de manifestants, brandissant des outils ainsi que des armes, symbole de la révolte qui gronde.

Une œuvre mémorable de Jean Dormoy : L’édifice communal.

Cette « Maison Communale », comme l’indique l’inscription gravée au fronton, est l’œuvre symbolique du maire Jean Dormoy. Sa construction, décidée en 1896 par cette municipalité et supervisée par l’architecte Gilbert Talbourdeau, possède une architecture du même principe que l’église Saint-Paul, avec à la base une armature de métal. L’objectif était en effet d’offrir une véritable « maison du peuple » civile dont l’architecture ferait jeu égal avec celle de l’édifice religieux voisin, et qui pourait accueillir à la fois une salle des fêtes pour 1 500 personnes, un bureau de police, et enfin des fourneaux économiques (cantine) proposant des repas chauds aux ouvriers du port du canal et des usines toutes proches.

L’inauguration de ce bâtiment eut lieu le 24 septembre 1899 sous la présidence de Jules Guesde et du maire Paul Constans.

Tout au long du XXe siècle, l’édifice communal a été le témoin des grandes luttes sociales et ouvrières de la ville de Montluçon, servant le plus souvent de point de rassemblement des cortèges convergeant ensuite par la rue de la République, le faubourg Saint-Pierre et le Boulevard de Courtais vers l’hôtel de ville et/ou la sous-préfecture.  À l’inverse, lors de la grande manifestation du 1er mai 1906, le bâtiment servit de lieu d’arrivée et de dislocation du cortège.

l’édifice communal

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