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Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

Le Dr Pierre-Marie Dechaux (1815-1895) : Parcours d’un médecin montluçonnais avant l’ère pasteurienne.

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Paris : l'école de médecine en 1844

Lors d’une conférence donnée salle Salicis, Marie-Jo Malergue s’est penchée sur le parcours du Docteur Pierre-Marie Dechaux qui, par ses nombreux travaux, a contribué à faire progresser la médecine et a laissé son empreinte sur le territoire montluçonnais.

Portrait du Dr Dechaux (P. Leprat)

Ses études parisiennes

Issu d’une famille de chirurgiens et de médecins montluçonnais, Pierre-Marie Dechaux reçut de son père une éducation rigoureuse et sévère.

Dès l’âge de 19 ans, en 1834, il dut quitter avec déchirement Montluçon, sa chère ville natale, pour poursuivre pendant huit ans ses études de médecine à Paris. À cette époque, il fallait dès l’inscription justifier du baccalauréat ès lettres, et le baccalauréat ès sciences physiques était exigé à partir de la cinquième année.

Il a alors fréquenté les grands hôpitaux militaires, Val de Grâce, Gros-Cailloux, les Invalides, avant d’être nommé interne des « Hospices des enfants trouvés de Paris » en 1939. Il a aussi participé aux cours de l’École pratique de médecine pour l’enseignement de l’anatomie et de la chirurgie. Il a soutenu sa thèse en 1842, qui porte sur les maladies infantiles et les maladies éruptives.

Ses relations avec ses confrères parisiens

Au cours de ses études parisiennes, Pierre-Marie Dechaux fut amené à côtoyer des maîtres comme Auguste-François Chomel (successeur de Laennec à l’Hôtel-Dieu), Antoine-Joseph Jobert de Lamballe (professeur agrégé d’anatomie à l’hôpital St-Louis), François Magendie, Jean-Baptiste Bouillaud, etc…

Certains de ses confrères, avec lesquels il a entretenu des relations d’amitié, sont devenus célèbres comme Léon Gosselin et Camille de Laurès devenu médecin-inspecteur des eaux de Néris-les-Bains.

Claude Bernard, personnalité marquante de la médecine du XIXe siècle, fut son ami intime. Voici ce qu’il en dit :

« Mon camarade Claude Bernard, était un homme très réservé. Il avait édifié ma belle-mère et mes enfants : il leur racontait comment Magendie (leur maître commun en physiologie expérimentale) l’avait distingué et se l’était attaché en qualité de préparateur avec la pensée et la promesse d’en faire son successeur. À mes enfants il répondait que sa place de professeur de physiologie au Collège de France l’obligeait à faire des vivisections douloureuses et cruelles sans doute, mais qu’il ne les multipliait pas trop, qu’il ne torturait pas ses sujets et qu’il était opposé aux abus de ce genre sur les pauvres animaux. Il était au mieux avec ma belle-mère qui avait l’habitude du monde savant et qui le trouvait charmant, très intéressant à entendre et très honnête. » (P.M Dechaux, la femme stérile, 1888).

Portrait du professeur Claude Bernard

Ses interventions dans la campagne montluçonnaise

Sa solide formation et ses bonnes relations avec ses confrères aurait pu lui assurer un autre avenir mais c’est à Montluçon qu’il a choisi de faire sa carrière avec toute l’abnégation et l’humanisme dont il a fait preuve tout au long de sa vie.

Il nous est difficile d’imaginer le quotidien d’un médecin du XIXe siècle qui œuvrait sans laboratoire d’analyses, sans radiologie pour l’aide au diagnostic, sans anesthésie pour les actes chirurgicaux et sans traitements efficaces contre les maladies infectieuses, première cause de mortalité à l’époque.

Le médecin connaissait bien sa région et se déplaçait volontiers dans les campagnes pour être confronté aux cas les plus graves, accidents, hernies étranglées, fièvres… pour lesquels il arrivait quelquefois trop tard. La population des petits propriétaires ou des métayers était pauvre et n’avait souvent pas les moyens de payer les remèdes nécessaires. Sa proximité avec ce milieu l’a conduit à pénétrer dans l’intimité de la vie des familles, souvent jalonnée d’épisodes tragiques.

Son rôle auprès des ouvriers

Le Docteur Dechaux est fréquemment intervenu pour des accidents ou maladies auprès des ouvriers d’usine, par exemple dans le secteur de Blanzat où vivait une population laborieuse et miséreuse. Autant qu’il a pu, il a contribué à améliorer leur situation par l’intermédiaire du conseil d’hygiène. En fin de siècle, des caisses de secours permettaient aux ouvriers de consulter le médecin gratuitement et de percevoir des indemnités journalières en cas d’impossibilité de travailler.

Médecin en chef à l’hôpital de Montluçon

L’hôpital de Montluçon s’est installé dans l’ancien couvent des Cordeliers en 1830. Le « tour » des enfants abandonnés a été supprimé en 1835. Le docteur Dechaux fut médecin en chef de l’hôpital et son successeur a apporté à son sujet un témoignage émouvant. Dans le cadre de l’hôpital, le docteur Dechaux intervenait gratuitement auprès des malades. Il assurait les visites aux malades et en période d’épidémie, il surveillait l’évolution sur ses patients hospitalisés.

Le docteur Dechaux pratiquait quelquefois des opérations de petite chirurgie, seul ou avec des confrères. L’hémorragie, la douleur et l’infection des plaies étaient les principaux obstacles que rencontraient les chirurgiens de cette époque.

Conscient des difficultés rencontrées par les femmes

Sa perception des femmes est illustrée dans ses écrits. A cette époque beaucoup de femmes mourraient en couche ou des suites de couche. Il témoigne un grand respect, non seulement aux mères mais aussi à celles qui n’ont pas eu d’enfant, religieuses, tantes, sœurs qui compensaient l’absence ou l’incapacité des mères biologiques à élever leurs enfants. En 1876, son mémoire « La vérité sur les maladies de l’utérus et la physiologie médicale de la femme » lui valut certains reproches de la part de ses confrères. « Cette sensibilité vis-à-vis des femmes s’est souvent retournée contre moi », avait regretté l’intéressé.

Quant à la mortalité infantile, elle était également si importante à l’époque qu’on la considérait comme une chose normale, tragique certes, mais inévitable.

Des progrès dans la lutte contre les pathologies infectieuses

Toujours fidèle à ses acquis et à son médecin référent Hippocrate, le docteur Dechaux cite aussi Galien, Avicène, Celse, Stoll, Brown et Rivière. Mais son action déterminée contre les pathologies infectieuses pourrait trouver son inspiration dans les enseignements de Thomas Sydenham, l’Hippocrate des Anglais au XVIIe siècle. Heureusement les connaissances évoluent grâce aux progrès de la microbiologie dus à l’utilisation du microscope. Une avancée considérable se dessine pour comprendre les mécanismes des maladies infectieuses et leur prévention.

Ce n’est qu’à partir des deux dernières décennies (1880-1900) que les micro-organismes responsables des maladies infectieuses ont été mis en évidence. Louis Pasteur et Pierre-Marie Dechaux sont tous deux décédés en 1895, à l’aube d’une ère nouvelle dans le domaine des sciences et de la médecine.

La variole

Ne pouvant pas compter sur des examens complémentaires, le docteur Pierre-Marie Dechaux basait la fiabilité de son diagnostic sur l’observation clinique et l’étude des symptômes, tout en tenant compte de l’environnement du patient. Il fut particulièrement actif lors des épisodes épidémiques de variole de 1870 et 1885. Il considérait que les vaccinations, qui n’en étaient encore qu’à leurs débuts à cette époque, ne devaient pas se faire sans précautions et qu’il fallait tenir compte du contexte environnemental et des particularités de chaque patient. Il avait noté ses observations en vue d’une publication pour l’académie de médecine de Paris intitulée « La variole et le croup à Montluçon ». En 1887, il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur pour son courage à combattre l’épidémie de variole dans sa ville natale. Il fut sensible à cette reconnaissance publique de son travail, bien que jugée tardive.

Le paludisme

Le docteur Dechaux avait bien analysé les symptômes du paludisme, avant même que le moustique responsable, l’anophèle, ne soit identifié. Le diagnostic était plus délicat chez les enfants, l’intermittence des fièvres n’ayant pas le temps de s’établir avant leur décès. La demande du médecin en faveur de l’assainissement du marais de Blanzat avait cependant contribué à la baisse des contaminations dans ce secteur.

La syphilis des verriers

Le docteur Dechaux ne s’était pas contenté de poser le diagnostic de syphilis chez les verriers. Il avait de plus enquêté sur leurs conditions de vie pour connaître l’origine de la contagion et les moyens à envisager pour la limiter. Le médecin avait alors constaté que les ouvriers de la Verrerie à bouteilles Duchet contractaient la maladie en se passant de bouche à bouche les tubes à souffler le verre. Il a donc préconisé l’emploi d’un embout individuel adaptable sur la « canne » des verriers.

Les traitements : quinine, vomitifs, purgatifs, opium, saignées et sangsues

L’aspirine n’a été commercialisée qu’en fin de siècle et le paracétamol ne fut disponible qu’après la seconde guerre mondiale. On utilisait alors la quinine pour lutter contre les fièvres de toutes origines, mais ce médicament était encore trop coûteux pour certains patients.

Les antibiotiques n’existaient pas. Les vomitifs ou purgatifs à base de plantes (ipéca, scille, scammonée), d’antimoine et de sel de mercure étaient donnés en première intention.

L’opium (laudanum, élixir parégorique, morphine), était prescrit pour les douleurs ou dans les cas désespérés.

En fin de siècle, l’emploi des sangsues, que nous appelons maintenant l’hirudothérapie, avaient remplacé les saignées d’Hippocrate que pratiquait parfois le docteur Dechaux. Les religieuses de Blanzat assuraient l’approvisionnement et le suivi de ces petits animaux très efficaces.

« La saignée ne guérit pas instantanément, ni toujours, mais elle diminue la congestion, prévient les apoplexies, les hémorragies, et les désorganisations du cerveau. Je ne suis donc pas systématique. Comme Hippocrate, je n’en viens à la saignée que dans les occasions tranchées et périlleuses » (P.M Dechaux, « Les quatre points cardinaux de la médecine »).

Les publications du docteur Dechaux

C’était un homme cultivé. On retrouve de nombreuses citations en latin et en grec dans ses publications.

Certains ouvrages du docteur Dechaux sont consultables sur le site de la Bibliothèque Nationale de France Gallica : « Des plaies pénétrantes des articulations » ; « La vérité sur les maladies de l’utérus » ; « la variole et le croup à Montluçon » ; « Les quatre points cardinaux de la médecine » ; « La femme stérile » ; et un « Guide pratique pour l’étudiant en médecine ». Certains points étudiés par le docteur Dechaux ont été repris par des confrères lyonnais, bordelais ou toulousains, concernant la syphilis des verriers, la conservation des membres dans les cas désespérés, la physiologie de la femme, l’empoisonnement par le datura stramonium, une plante adventice présente dans certaines cultures, etc…

« Du temps d’Hippocrate, c’étaient des miasmes, des sucs viciés, des matières peccantes ; de nos jours, par les progrès du microscope, ce sont des sporules, des bactéries, des animalcules, des microbes, des atomes remuants ? Qu’importe, vivants ou morts, ce sont quand même des corps étrangers, autrefois des ferments, une pourriture, maintenant une espèce de vermine dont il est essentiel de se débarrasser ». (P.M Dechaux, « Les quatre points cardinaux de la médecine », 1891)

Beaucoup d’hommages à son décès

Sa descendance semble éteinte mais le tombeau familial est toujours visible au cimetière de l’est à Montluçon où son unique petite-fille, Marguerite, née pendant l’épidémie de variole de 1886, a été inhumée en 1944.

Une foule nombreuse s’est déplacée le 29 décembre 1895 pour ses obsèques. Il fut l’un des fondateurs de l’association des médecins de l’Allier, dont il comprenait le rôle social. Ses confrères lui ont rendu hommage à cette occasion pour sa courtoisie, sa loyauté, sa probité et son dévouement sans faille auprès de ses patients jusqu’à sa retraite à l’âge de 80 ans.

Aux hommages de ses confrères s’ajoutaient ceux de M. Hennecart, directeur de la compagnie Saint-Gobain où il a œuvré pendant plus de 40 ans, et ceux de M. Bozon, président du conseil de fabrique de l’église saint-Pierre qui a souligné que « le docteur Dechaux était certainement soutenu par cette force invisible qui dirige l’homme de bien dans l’accomplissement de son devoir ».

On peut cependant regretter que le docteur Pierre-Marie Dechaux, médecin-chirurgien humaniste qui a largement démontré son dévouement aux pauvres et son attachement à sa ville natale, reste une personnalité si oubliée des Montluçonnais.

Pour en savoir plus

Marie-Jo Malergue avait déjà évoqué le rôle du Dr Pierre Marie Dechaux à Montluçon dans la Lettre n° 241 de février 2021 et dans le Bulletin n° 73 de 2022, p. 55-78.

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