Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

L’usine des Hauts-Fourneaux de Montluçon et la famille Guérin ou « petite histoire sur les débuts de l’usine des Hauts-Fournaux »

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l'usine Forey d'après Tudot

L’usine des Hauts-Fourneaux de Montluçon fut la première à s’installer sur la rive droite du Cher, grâce à la proximité du charbon de Commentry d’une part, et d’autre part à la présence du Canal de Berry pour l’alimentation en minerai de fer berrichon et l’acheminement de ses produits finis.

Une famille va contribuer à sa création et son développement : la famille Guérin. Certes, les informations que nous détenons sont faibles mais nous allons tenter, à partir des éléments retrouvés, de reconstituer les raisons qui ont amené les Guérin à Montluçon et les évènements qui les ont fait partir. Nous verrons que leur parcours se conjugue avec celui d’une autre famille : les Boigues, avec des relations parfois tumultueuses.

La famille Guérin avant sa venue à Montluçon

 À l’origine : les frères Guérin et l’usine de Dilling

En 1801, Les frères Guérin, Louis-Ebremond (dit le jeune) et Joseph-Vincent-Thomas (dit l’ancien), avec Nicolas Defrance, Lacour et Desnoyers achètent les Établissements métallurgiques de Dillingen près de Sarrelouis (Moselle). À l’époque, Dillingen se trouvait en Sarre française et portait le nom de Dilling.

En 1803, Thomas Guérin et Nicolas Defrance se rendent en Angleterre et rapportent des connaissances dont la mise en œuvre permet la transformation de la fonte en fer forgeable à l’aide de la houille au lieu du bois.

Ils créent en 1807 une société Anonyme « Société des Intéressés aux Fonderies de Cuivre et Manufacture de Fer-Blanc de Dilling ». Thomas Guérin en était le directeur, et son frère cadet Louis assurait la partie technique. Guérin l’ancien orienta la fabrication vers le laminage de plaques de cuivre destinées au doublage et au bordage des vaisseaux.

Mais la convention du 20 novembre 1815 donne à la Prusse le territoire de Sarre-Louis. Louis Guérin ne veut pas rester sous la domination prussienne, et il rentre en France.  Le roi Louis XVIII récompense cette attitude en le nommant chevalier de la Légion d’Honneur. Louis-Ebremond Guérin se retire à Litteau, sa ville natale, où il installe une petite fonderie de cuivre.

 

La collaboration des Guérin avec les Boigues

Suite à la perte de la Sarre, les sociétés « Boigues et Fils » et « Debladis et Auriacombe », qui faisaient le commerce des métaux, perdent leurs principaux fournisseurs à Dilling et sont contraintes de rechercher dans l’intérieur de la France les métaux qu’elles ne pouvaient plus se procurer en Sarre.

Ayant déjà eu des relations d’affaires avec les Guérin et n’ignorant pas que « Guérin jeune s’était signalé par des essais fructueux dans l’affinage du cuivre », Boigues et Debladis lui proposent de former avec eux une société dont l’acte de constitution est rédigé le 16 septembre 1815. L’usine s’installe à Pontoise sous la raison sociale « Guérin jeune ». Louis Guérin, alias Guérin jeune, était dispensé de mise de fonds, « son art en tenait lieu », mais participait à égalité aux bénéfices.

Peu de traces attestent de l’activité de cette entreprise, à part une inscription datée de 1821 qui figure sur la cloche de l’église de Cergy : « Fondue à la fonderie de Guérin à Pontoise, » par « Morlet, fondeur ».

Cette fonderie de cuivre n’était qu’un premier pas, et Guérin jeune détermina ses associés « à s’unir à lui pour fonder des laminoirs à cuivre, tôle de fer, fer-blanc et enfin une usine absolument dans le même système que celui de Dilling ».

Pour augmenter les chances de réussite, il fallait se trouver à proximité du charbon de terre.

Louis Boigues, qui était en pourparlers pour s’installer avec les Paillot à la forge de Trézy, près de Grossouvre (Cher), influa-t-il sur la décision de Guérin ? En tout cas les trois associés choisirent Imphy, « dont le cours d’eau, l’extrême proximité de la Loire, le voisinage des mines de charbon de terre de Decize présentaient la réunion de tous les avantages qu’ils désiraient ». Cette installation d’une fonderie de cuivre à Imphy va procurer de nouveaux débouchés à l’usine.

En juillet 1816, le frère aîné de Louis Guérin, Thomas, le rejoint pour diriger cet établissement. Le 15 octobre, Louis Boigues, Antoine Debladis et Louis Guérin forment une société sous la raison sociale « Boigues, Debladis et Guérin Jeune« . Fin 1816 la nouvelle usine était opérationnelle, avec le concours des chefs d’ateliers de l’usine de Dilling, qui apportent leur savoir-faire, et de Louis Guérin directeur de l’usine de Pontoise.

Des tensions avec les Boigues

L’année 1819 est une année de graves tensions entre les trois associés.

Thomas Guérin avait reçu des forges de Paimpont (Ille-et-Vilaine) une offre avantageuse pour aller y installer une forge à l’anglaise avec laminoirs. Louis Boigues et Antoine Debladis l’avait vivement encouragé à accepter cette proposition. Il partit donc à Paimpont fin décembre 1818, revint en février 1819 pour quitter définitivement Imphy le 7 juillet suivant, après avoir préparé l’exposition internationale.

Il fut remplacé par Debladis fils, âgé seulement de 20 ans, auquel on adjoignit Meillard-Boigues, officier en congé de 32 ans. Mais ces jeunes gens fort inexpérimentés débutèrent assez mal. En effet, la table du laminoir à volant installée par Guérin se brisait le 15 décembre 1819, puis l’arbre du grand laminoir cassait le 30 décembre, en sorte que les 12 ouvriers de ce laminoir se trouvèrent sans ouvrage ainsi que 7 ouvriers de la fonderie de cuivre. Ces accidents de production provoquent un conflit entre les trois associés.

Louis Boigues va quitter l’entreprise pour bâtir une grande forge à l’anglaise à Fourchambault. Après son départ, Antoine Debladis, Géraud Auriacombe et Louis Guérin s’adjoignent Pierre Bronzac et créent en 1823 une société sous le nom de « Debladis, Auriacombe, Guérin jeune et Bronzac« ; en 1827, Grillet M. de Serry, élève de l’École polytechnique, en sera le directeur.

En 1829, la « Société Anonyme des Forges et Fonderies d’Imphy » est constituée par acte passé le 7 août et approuvé par ordonnance royale du 19 août. Louis Debladis et Bersolles deviennent gérants, Adolphe Guérin, fils de Louis Guérin, succédait à de Serry à la direction de l’usine. Il y restera jusqu’en 1840. Malheureusement, la crise de 1837-1840 atteint gravement la société, et les pertes s’accumulent. Contacté par Denys Benoist d’Azy, Adolphe Guérin quittera la direction de la société en 1840.

l'usine Forey (dessin de G. Coulhon

L’arrivée des Guérin à Montluçon

Naissance de l’usine des Hauts-Fourneaux de Montluçon

Le 20 avril 1840 est créée une société pour la construction et l’exploitation de hauts-fourneaux à Montluçon. Ses fondateurs sont :

– Auguste Grangier, propriétaire et maître de forges à Dijon (Côte d’Or),

– Armand-Guy-Charles de Coetnempren, comte de Kersaint demeurant à Paris,

– Denis-Aimé-René-Emmanuel Benoist, maître de forges à Allais (Gard).

Pour implanter l’usine, leur choix se porte sur une parcelle située aux Conches, sur la rive droite du Cher.

Il est probable que l’emplacement n’a pas été choisi au hasard car le terrain se situe au pied d’une colline, ce qui facilite le chargement des fours.Pour l’acheminement du charbon, les convois de tombereaux arrivant de Commentry par la route de Châtelard n’auront plus besoin de traverser le Cher sur le pont Saint-Pierre, créant des problèmes de trafic en raison de la faible largeur du pont. En  1840, le « Chemin de fer à ficelle » n’existait pas encore. Le 4 mai 1840, Auguste Grangier, futur gérant, demande l’autorisation d’établir quatre hauts-fourneaux. Mais sa santé ne lui permet pas de continuer, et de ce fait la société est dissoute.

Adolphe Guérin et les Hauts-Fourneaux de Montluçon

C’est à cette période que Denis Benoist d’Azy, qui connaît bien Adolphe Guérin, lui demande de le rejoindre à Montluçon. Le 25 novembre 1840, Benoist et de Kersaint s’associent avec Adolphe Guérin et créent la société en participation « Kersaint-Benoist-Guérin ». À la suite de cette association, Adolphe Guérin confirme la demande d’autorisation établie précédemment par Auguste Grangier. Le premier haut-fourneau est achevé en 1841, le second en 1844, l’ensemble permettant de produire environ 7 000 tonnes de fonte par an. Les fontes au coke produites par les hauts-fourneaux ont comme débouchés Commentry et Fourchambault. En 1845, Adolphe Guérin déposera, pour le compte de la société, un brevet sur un type de four à coke.

5 juillet 1849 – création de la « Société des Hauts-Fourneaux de Montluçon » autorisée par décret du 27 juillet 1849 (enregistré sous le n° 500). C’est Adolphe Guérin qui en est le directeur-gérant.

Elle est constituée par :

Armand-Guy-Charles de Coetnempren de Kersaint, propriétaire, ancien préfet.

Denys-Aimé-René-Emmanuel Benoist, propriétaire,

Adolphe-César-Laurent Guérin, directeur gérant de la société des Hauts-Fourneaux,

Nicolas-Joachim-Barthélémy Gonon, propriétaire,

Hippolyte-Louis Guérin, rentier. Fils de Louis-Ebremond, il est plus connu comme poète sous le nom d’Hippolyte Guérin de Litteau.

Jean-Antoine-Théodore Languinier, négociant.

La société ainsi créée a pour objet :

– l’exploitation de l’usine des Hauts-Fourneaux,

– l’exploitation de la mine de houille de Montvicq.

Le développement des Hauts-Fourneaux – Le regroupement avec les entreprises du Nivernais

D’un côté, les besoins en rails des compagnies de chemins de fer deviennent de plus en plus importants. Mais aussi la création d’une importante forge à Montluçon (Saint-Jacques) constitue une menace directe pour l’usine de Fourchambault, appartenant à la société Boigues, alimentée en houille par la mine de Commentry. Pour faire face, Paul Benoist d’Azy (fils de Denys), directeur des usines de Fourchambault, élabore un plan qu’il présente à Stéphane Mony, directeur de la Mine de Commentry. Il propose de constituer une société forte qui regrouperait les trois sociétés existantes et qui utiliserait les ressources et les compétences de chacune d’entre elles :

– La « Société anonyme des Hauts-Fourneaux », qui possédait l’usine des hauts-fourneaux de Montluçon et la mine de Montvicq,

– La « Société Rambourg frères« , qui possédait les mines de Commentry.

– La « Société Boigues et Compagnie » dont les forges de Fourchambault appartenaient à la famille nivernaise Boigues.

Ce rapprochement permettait à la société Boigues de sécuriser son approvisionnement de houille et de coke, assurait à la famille Benoist d’Azy un écoulement des productions de fonte et offrait des débouchés stables à la mine de Commentry.

Le rapprochement des différentes sociétés est réalisé par la création le 17 décembre 1853 de la « Compagnie des Houillères de Commentry et de Montvicq, des Forges et Fonderies de Fourchambault, Montluçon, Imphy, etc. »

La société débute le 1er janvier 1854. Elle est établie en commandite sous la raison sociale « Société Boigues, Rambourg et Compagnie » et regroupe des entreprises appartenant à différentes compagnies.

C’est entre la Nièvre, le Cher et l’Allier un total de douze hauts-fourneaux au coke et un au bois, deux fonderies, une grande forge et un atelier de ferronnerie produisant ensemble par an 70 000 tonnes de métal fini, et deux mines qui livrent aux ateliers associés ou au marché général un approvisionnement de 450 000 tonnes de houille. L’ensemble de cette union représente plus de 7 000 ouvriers. La société ainsi créée est gérée en nom collectif par Paul Rambourg, Émile Boigues, Jules Hochet, Paul Benoist d’Azy et Stéphane Mony. Jules Hochet supervise la commercialisation, Paul Benoist d’Azy les usines et Stéphane Mony les houillères.

l'usine Forey. Arrivée des wagonnets

Le divorce avec les Guérin

Adolphe Guérin va œuvrer pendant de nombreuses années à la tête de l’entreprise mais ses relations avec Stéphane Mony vont se dégrader peu à peu.

Voici le contenu d’une lettre que Stéphane Mony adressait à Paul Benoist d’Azy :

« Guérin, aux Hauts-Fourneaux de Montluçon, est un homme essentiellement pratique et dont l’instruction théorique est à peu près nulle. Il n’en tient que (que de ses) méthodes (qui) sont toutes empiriques et comme il est très attaché à ses idées, comme il a réussi, comme il a la réputation d’un bon fabricant, il est très difficile d’une part de pousser beaucoup la discussion avec lui, de l’autre de le faire changer… »

Stéphane Mony, qui semble donc peu apprécier Adolphe Guérin, réussi en 1854, à placer Miltiade Forey à la direction de l’usine des hauts-fourneaux et fonderies de Montluçon, celui-ci ayant été directeur de la mine de Commentry pendant dix ans.

Son implication jusqu’en 1885 était telle que l’on parlait souvent de « l’Usine Forey« .

Au fur et à mesure des évènements importants dans la vie de la société, tels que la démission de Paul Benoist d’Azy en 1860, ou du décès de Jules Hochet en 1868, c’est Stéphane Mony qui va devenir « l’homme fort » de la compagnie et va pratiquement diriger sans partage.

L’entreprise va continuer son chemin sans le concours de la famille Guérin dont on perd la trace dans le paysage industriel de Montluçon.

En conclusion, même si l’on a peu fait état de cette famille, son implication dans l’implantation de l’usine des Hauts-Fourneaux aura été importante et cette étude permettra de rappeler leur participation dans la grande aventure industrielle de Montluçon.

l’usine Forey

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