Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

Martin Nadaud et Christophe Thivrier

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Activité associée

Pourquoi comparer ces deux hommes ? Pourquoi ont-ils été tous les deux au 19e siècle des combattants très actifs pour la défense des humbles, des ouvriers, des mineurs et des maçons

Comparaisons

Martin Nadaud est né en Creuse, le 17 novembre 1815 au village de la Martinèche, commune de Soubrebost, arrondissement de Pontarion. Ses parents étaient paysans et maçons.

Christophe Thivrier est né dans l’Allier, le 16 mai 1841, au village de la Bregère, commune de Durdat-Larequille, canton de Commentry. Ses parents étaient paysans et mineurs.

Tous deux ont été élus députés pour porter les revendications des « pauvres ». Tous deux sont allés à la « Chambre » avec leur habit de travail : Martin Nadaud avec la blouse de tâcheron des maçons de la Creuse, et Christophe Thivrier avec la « biaude », la blouse des ouvriers mineurs du Bourbonnais. En effet, Christou – c’était son surnom – élu député à 48 ans en 1889, avait revêtu sa « biaude » lors de la rentrée parlementaire, pour représenter le parti ouvrier.

Quant à Martin Nadaud, c’est à 34 ans qu’il est élu en 1849 à l’assemblée législative pour représenter lui aussi les ouvriers. C’est une des grandes figures de la révolte en 1848 – anti bonapartiste, exilé dix-huit ans en Angleterre avec Victor Hugo. Il est considéré comme le patriarche de la IIIe République. En 1874, le 28 février, il présente une conférence placée sous la présidence de Louis Blanc pour célébrer la révolution de 1848. Il rend un chaleureux hommage à Louis Blanc, à Cabet et à Pierre Leroux. Ce dernier était devenu Creusois d’adoption car il s’était fait l’avocat des maçons creusois en matière de droit du travail.

Martin Nadaud a vanté l’inspiration heureuse d’un gouvernement sincèrement républicain qui favorisera équitablement des associations agissant dans l’intérêt des ouvriers. En 1874, ce fut surtout l’année des « conférences maçonniques » ; il y en a eu deux à coup sûr, mais peut être cinq. Le 19 mars, il fit l’éloge de la « maçonnerie » et du compagnonnage qui avait plus fait, disait-il, pour le progrès de la civilisation que les sermons des prêtres et les « bulles des papes ». C’est un anticlérical notoire, déclarant par exemple au cours d’une conférence : « Tout maçon doit sérieusement songer à combattre partout et toujours le pouvoir clérical ». Il fut admis en loge le 15 ou 17 octobre 1874, prenant la parole à cette occasion pour affirmer qu’il n’avait qu’un serment : celui de se mettre au service du peuple.

Martin Nadaud et Christophe Thivrier ont fait avancer les lois sociales. L’un a connu la révolution de 1848 mais n’a pas participé directement à la Commune en 1871. Quant à « Christou », plus jeune, il s’est quand même permis, lors de sa réélection en 1892 à la Chambre des députés, de crier « Vive la Commune » dans l’hémicycle avant d’être évacué par la police !

Christophe Thivrier a été une figure historique du monde des mineurs au moment de l’industrialisation de la région Montluçon-Commentry.

Martin Nadaud, lui, est une figure emblématique des « maçons de la Creuse ». Dès 1830-1840, ce département est contraint de faire « émigrer » ses jeunes vers la capitale. Ils exportent ainsi leur savoir-faire de la taille du granit creusois, la technique en « limier » étant une façon spéciale de placer les blocs de granit l’un sur l’autre avec un joint minimal et très peu de mortier.

 

Christophe Thivrier, maître d’œuvre des révoltes des ouvriers mineurs à Commentry.

Il est un des animateurs du « Marianisme », sorte de syndicat secret qui fédérait les ouvriers luttant contre les dures lois du travail. Ils se réunissaient aux « Remorets » où Christophe Thivrier avait fait construire une maison : il y avait installé une boulangerie en 1869, et ajouté un débit de boisson en 1871. Il fut d’ailleurs un étrange boulanger… Bien plus préoccupé par la propagande républicaine que par sa profession, il négligeait la cuisson du pain qui se desséchait, distrait par ses amis venus discuter avec lui pendant la fournée.

Il devint le propagandiste local de la jeune république (4 septembre 1870). Un besoin d’union poussait les travailleurs à s’entretenir de leurs espoirs politiques. C’est vers 1872 que se constitua « la Marianne », société secrète républicaine.

La république était assez menacée car les autorités étaient encore impérialistes. Et justement la municipalité de Commentry reflétait ces sentiments.

En 1872, une société de secours mutuels dont fit partie Christophe Thivrier fut créée, mais les discussions politiques y étaient interdites. C’est donc au-dessus du four de la boulangerie que la vingtaine de conspirateurs se réunissait secrètement, en jurant de défendre la « Marianne », la belle république. Comme il y faisait très chaud, et pour cause, on appela ce local étroit situé au-dessus du four « l’Afrique ». Ce nom fut utilisé pour se convoquer sans attirer l’attention.

La propagande de la Marianne porta ses fruits et déboucha le 22 novembre 1874 sur un conseil municipal entièrement républicain. Christophe Thivrier était élu conseiller avec 1275 voix. Quant à Martenot, maire désigné par le pouvoir exécutif, il en était réduit à présider une assemblée d’adversaires !

Mais la surveillance policière s’intensifie. Le 10 février 1875, 18 « marianneux » sont arrêtés, dénoncés par l’un d’eux qui avait trahi.

Le 27 juillet 1877, le président Mac-Mahon dissout la municipalité de Commentry où siège Christophe Thivrier. Un mois plus tard, le débit de boisson de « Christou » est fermé par arrêté du préfet. Il ne rouvrira que le 20 décembre 1877. Aussitôt, le 24 décembre, Christophe Thivrier est de retour aux affaires communales. Il se présente aux élections municipales du 6 janvier 1878. La municipalité est alors conduite par Aujame, républicain modéré, opportuniste, suivant la formule de Gambetta.

C’est vers décembre 1880 que Christophe Thivrier fonde le « Cercle républicain ». Les opportunistes et les socialistes s’étant séparés, d’autres militants de Montluçon, Néris, Bézenet et Montvicq les rejoignent.

Le 9 janvier 1881 Christophe Thivrier est élu avec 1399 voix. Il n’était que le premier conseiller, le maire Desgranges étant nommé par le gouvernement. Mais à la mairie, Christou était surtout le porte-parole des travailleurs et au conseil, il éclairait les discussions de la pensée socialiste.

Dans le texte des délibérations du conseil du 12 juin 1881, les paragraphes « Considérants que… » sont novateurs : ils éclairent bien la montée du socialisme à Commentry, et ne manquent pas de scandaliser l’administration. Le préfet les fait d’ailleurs annuler ! Cela n’empêche pas Christou de faire voter contre la volonté du maire la construction d’écoles en faveur de l’instruction laïque.

Le 4 juin 1882, grâce à la nouvelle loi qui redonne au conseil municipal le pouvoir d’élire son maire, Christou devient le premier maire élu de Commentry et le premier maire socialiste de France.

En juillet 1889, il est élu brillamment conseiller général, et le 6 octobre 1889, il est élu député. C’est à cette occasion qu’il se présente à la chambre avec sa blouse : « la biaude ».

1893 : réélection à la chambre des députés jusqu’au 8 août 1895, date de sa mort à 54 ans.

Il s’est épuisé à défendre les ouvriers et leurs droits. Ses funérailles furent grandioses, de nombreux trains amenaient des délégations. Martin Nadaud était semble-t-il présent. Et Viviani et Vaillant, ses collègues députés, déclarèrent que c’était un grand deuil pour la classe ouvrière.

Toute la presse étrangère parla de sa mort. Mais il faut noter que le Nacional de Madrid, sous le titre « Engels-Thivrier », établit un long rapprochement entre les deux socialistes morts en cette même semaine d’août 1895 : Engels le lundi 5 et Thivrier le jeudi 8.

Christophe Thivrier est expulsé le l’Assemblée nationale

Martin Nadaud

Martin Nadaud, vers 1880-1890, était considéré comme un pionnier du mouvement populaire et comme un de ces courageux « représentants du Peuple » qui sous la seconde République bataillèrent pendant trois ans contre le parti de l’Ordre et le président Louis Napoléon.

C’est un des patriarches de la IIIe République. Il faut retenir que Martin Nadaud a bénéficié d’abord d’une notoriété politique, voire politicienne, qui laissait dans l’ombre celle qui nous paraît aujourd’hui essentielle : être le témoin de la vie et de l’éducation du peuple d’ouvriers-paysans qui s’éloignaient périodiquement de la Creuse pour aller bâtir les maisons de Paris.

Rappelons que de 1831 à 1833, il adhère aux sociétés secrètes républicaines et à la doctrine communiste de Cabet.

De 1834 à 1848, Martin Nadaud travaille à Paris comme maçon, suit des cours du soir puis en 1838, ouvre après son travail une école en chambre à l’usage de ses camarades. Il gagne un second salaire, aide ses camarades à s’instruire et leur fait la propagande révolutionnaire.

En 1833-1835-1836, il fait des allers et retours en Creuse. En 1839, il se marie avec Jeanne Aupetit, mais ne vient la voir que quelques semaines chaque hiver. En 1847, il fait venir sa femme à Paris, ce qui est nouveau pour les « maçons de la Creuse ».

En 1848, Nadaud est au cœur de la révolution, aux Tuileries, à l’hôtel de ville.

Bien connu des maçons creusois, il émerge à la notoriété, devenant président des Creusois de Paris et de l’association des maçons. Mais il échoue aux élections pour la Constituante en avril 1848. Enfin, le 13 mai 1849, il est élu représentant de la Creuse à l’assemblée législative. Son histoire politique se confond avec celle du groupe de l’opposition de gauche dit « la Montagne » ou groupe démocratie socialiste.

Nadaud dans cette législature se spécialise dans les débats concernant le droit du travail et dans ceux qui touchent au bâtiment et à l’urbanisme. En 1851 il devient veuf et sa fille est confiée à ses vieux parents. Il vit seul à Paris, tout entier consacré à la politique. C’est sous cette mandature qu’il arrive à la chambre, habillé en « tâcheron-maçon ». On peut d’ailleurs à ce sujet retrouver la caricature publiée à l’occasion de l’élection de Martin Nadaud à l’assemblée législative (l’Argus, Charivari de Lyon).

Mars-mai 1871 : la Commune de Paris

Nadaud rejoint ses vieux amis de 1849-1851 mais l’aide apportée est discrète : il est considéré comme un ami de Paris et des Communards mais pas assez pour subir la répression versaillaise.

Juillet 1871 : dans le sillage de Gambetta, leader d’extrême gauche, Nadaud va essayer de recoller les morceaux du camp républicain déchiré. Battu aux élections de 1871, il est élu conseiller municipal de Paris-XXe le 29 novembre 1871.

En 1852 il est banni par décret et s’exile à Bruxelles, puis à Londres. C’est là qu’il sera initié chez les Francs-maçons. Après 18 ans d’exil, il rentre en France et le 4 Septembre 1870 Gambetta, ministre de l’Intérieur, le nomme Préfet de la Creuse. Il démissionne le 6 février 1871 par solidarité avec Gambetta, lui-même démissionnaire du gouvernement. De disciple de Cabet (communiste) puis fidèle de Louis Blanc, il apparaît désormais comme un homme de Gambetta, en tout cas de la gauche du Gambettisme.

En 1876, Nadaud est élu député de la Creuse, il sera réélu en 1877, 1881 et 1885. Il est très anticlérical, anti boulangiste, et irrité par la lenteur des réalisations sociales.

En 1889, il est battu aux élections. Rappelons que c’est l’année de l’élection de député de Christophe Thivrier, et qu’une génération les sépare. En 1893 il voit avec plaisir l’élection d’un ancien maçon dans son arrondissement de Bourganeuf. Enfin, en 1895, il achève ses mémoires et les publie.

Il meurt à Soubrebost le 29 décembre 1898, et ses obsèques en présence d’une grande foule sont une belle manifestation républicaine.

L’année suivante, le conseil municipal de Paris donne son nom à une place dans le XXe arrondissement, et le conseil municipal de Bourganeuf donne son nom à la place de la mairie.

En 1902, la statue de Nadaud est inaugurée, place du palais de justice, à Bourganeuf. Mais en 1941 la statue est démolie. On la remplacera plus tard par un simple buste devant la mairie. Une photo de Nadaud est en place dans la préfecture à Guéret.

En 1963, à Bellac, le collège d’enseignement technique devient collège Martin Nadaud. Un autre collège porte son nom en Creuse : celui de Guéret. Et à Tours, c’est le lycée des Métiers qui porte le nom de Martin Nadaud. En effet, Martin Nadaud fut un ardent défenseur de la création des écoles professionnelles. Après la seconde guerre mondiale, l’école nationale du bâtiment à Felletin et l’école nationale d’enseignement technique de Montluçon (voulue par Marx Dormoy et réalisée par André Southon) vont dans le même sens.

En guise de conclusion :

Nous venons d’évoquer deux députés progressistes du 19e siècle, deux personnages hauts en couleur. Une génération les sépare, certes, mais ce sont deux députés qui ont fait évoluer les lois du travail, de l’instruction pour le peuple : ouvriers, mineurs, maçons, paysans.

Tous deux autodidactes, ils sont arrivés à l’assemblée législative du 19e siècle, en minorité face aux députés « bourgeois ». Ils ont mis en avant leur costume de travailleur. Martin Nadaud n’a pas eu de descendance pour continuer son œuvre. Christophe Thivrier est mort trop jeune, à 54 ans, mais sa descendance a continué son combat. Ses trois fils se sont impliqués dans les affaires communales ou départementales : Alphonse comme maire de Commentry, Léon comme conseiller général et député ; quant à Isidore, député maire, il était aux cotés de Marx Dormoy pour s’opposer à Pétain en 1940 à Vichy, avant de mourir en déportation.

Montluçon, Commentry, Désertines, Saint-Étienne, Narbonne ont donné le nom de Christophe Thivrier à une rue. En 1932, un buste a été placé à l’intersection des rue Jean-Jaurès et Marx-Dormoy de Commentry. Un monument a été érigé sur sa tombe au cimetière de Commentry. Le lycée agricole de Durdat-Larequille porte son nom. Il fut avec Jean Dormoy le « forgeron du 1er mai », fête internationale du travail.

Quant à Nadaud, son célèbre : « Quand le bâtiment va, tout va ! » reste mémorable !

Caricature de Martin Nadaud par André Gill parue dans le numéro 85 de la revue Hommes d’aujourd’hui.

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Bibliographie

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