Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

Les épidémies de variole à Montluçon (1870,1886-1887) et le combat du Dr Dechaux

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En mars 2020, l’émergence de cette pandémie de Covid-19 a surpris le monde entier et plus particulièrement les pays occidentaux. Avec l’amélioration des conditions de vie et d’hygiène, les vaccins, les antiviraux, comment pouvait-on imaginer un tel scénario ? C’était si utopique que les livres d’histoire mentionnaient à peine l’impact des épidémies sur les populations. Les maladies infectieuses sont pourtant indissociables de l’histoire de l’homme. À la fin du XIXe siècle, plusieurs épisodes épidémiques ont touché la région montluçonnaise et notamment une épidémie de variole, qui a laissé des traces dans les mémoires.

Origine et historique de la variole

Les premières traces de variole ont été observées sur des momies égyptiennes du troisième millénaire avant notre ère. A-t-elle été introduite en Europe à l’occasion des invasions arabes du VIe siècle ? C’est une hypothèse… Par contre, il est bien reconnu que les premiers contacts des européens porteurs du virus de la variole avec les populations amérindiennes et aztèques ont eu des conséquences dramatiques. En réalité, les scientifiques ne disposent pas encore de séquences très anciennes du génome de ce virus et ignorent son origine, son évolution, et sa répartition géographique dans un passé lointain.

Les manifestations de la maladie

La variole, surnommée autrefois « petite vérole », était une infection virale à Poxvirus (smallpox). Cette maladie était redoutable et extrêmement contagieuse. Au XVIIIe siècle, environ 30 % de ceux qui la contractaient en mourraient. À ses débuts, elle présentait des symptômes semblables à la grippe (fièvres, céphalées et courbatures) et ensuite l’évolution était variable selon la gravité de la maladie. Dans les cas les plus courants, l’éruption débutait par le visage, le cou, les membres, puis se généralisait sur l’ensemble du corps. Les séquelles les plus courantes étaient les cicatrices laissées sur le visage et les atteintes oculaires pouvant entraîner la cécité.

Les vaccinations

Dès le XIe siècle les chinois pratiquaient la variolisation. Elle consistait à inoculer le contenu des vésicules d’un malade présentant une forme bénigne à la personne à immuniser. Cette variolisation fut pratiquée en France au cours du XVIIIe siècle mais sans grand succès. En 1796, c’est Edward Jenner qui va officiellement pratiquer le premier vaccin basé sur la variole des vaches (vaccine cowpox) et la vaccination va alors se développer en Angleterre. En France, la première campagne débutera en 1811, sous Napoléon 1er, quand le vaccin antivariolique deviendra obligatoire dans l’armée. Au fil du XIXe siècle, la vaccination a du mal à s’imposer en France. En 1843, 1858 et 1880, plusieurs projets de loi en vue une obligation vaccinale avaient échoué.

Edward Jenner (1749-1823)

1870 : la variole à Montluçon

À Montluçon, la vaccination semblait pratiquée de manière aléatoire depuis le début du XIXe siècle quand deux épidémies de variole vont soudain toucher le territoire : la première en 1870 et la seconde en 1886-1887. À cette époque, la vaccination comportait d’autres risques et n’assurait pas une protection absolue ; cependant elle réduisait la mortalité et les formes graves.

En 1870-1871, on se trouvait dans un contexte de guerre franco-allemande, mais la vaccination antivariolique était obligatoire pour les militaires des deux pays. Sans statistiques nationales, l’impact de la variole en France n’était pas connu, mais une recrudescence sur Paris avec 10 549 décès de cette maladie constitue néanmoins un indice.

Le rapport du conseil d’hygiène publique de l’année 1869 pour le canton de Montluçon démontre que l’organisation des vaccinations était peu rigoureuse. Cette année-là, le conseil d’hygiène présidé par le sous-préfet, M. Lasserre, comptait quatre médecins (Drs Dechaux, Duché, Dufour, et Pangaud), deux pharmaciens (MM. Meillet et George), un vétérinaire (M. Constant), le directeur des Forges (M. Forey), un juge (M. Bouyonnet d’Armel) et l’adjoint au maire (M. Zegre). Celui-ci nous donne ces indications :

« Le compte rendu de la vaccine établit que pour tout notre arrondissement, sur 3 745 naissances, il y a eu 2 294 vaccinations opérées par les médecins officiels. S’il restait encore 1 451 sujets à vacciner ce serait une immense lacune, mais il faut interpréter les manquants sur les listes administratives par cette observation qu’un grand nombre d’enfants est vacciné par les soins officieux d’autres médecins, par des sages-femmes et par des parents eux-mêmes… »

Pour cette épidémie de 1870, nous n’avons pas de détails précis, mais la suivante est très bien documentée grâce à une publication du docteur Dechaux (1815-1895) « La variole et le croup à Montluçon». Ce médecin montluçonnais, érudit et courageux, intervenait auprès de l’académie de médecine de Paris et était l’auteur de plusieurs ouvrages médicaux.

1886-1887 : Retour de la variole sur l’agglomération

Une nouvelle épidémie de variole avait donc débuté en mai 1886 dans le quartier des usines parmi les ouvriers de la glacerie, de la verrerie et de la forge de Saint-Jacques. Jusqu’en octobre, il n’y avait pas de cas dans la vieille ville mais une dame venue à l’inhumation de son beau-frère va contracter la maladie. Le 15 novembre, l’épidémie avait envahi la cité et la peur s’était emparée de la population. Une forte demande de revaccination se manifestait mais il n’y avait plus assez d’enfants de 1 à 3 mois pour fournir le vaccin primitif, le seul réellement « préservatif » d’après le M. Dechaux. Quel vaccin pouvait être utilisé ? Il y avait alors trois possibilités :

  1. Vaccination d’enfant de bras à bras (méthode de Jenner)
  2. Vaccination de génisse à bras
  3. Inoculation de pulpe vaccinale bovine étendue de glycérine

La première semblait avoir la faveur du médecin. Pourtant la vaccination d’homme à homme était critiquée en raison des risques de surinfections qui avaient été observés, notamment avec la syphilis. Montluçon avait connu une épidémie de syphilis en 1869. Prélever le vaccin sur des enfants diminuait ce risque, mais il n’était pas à exclure car la syphilis était transmissible de la mère à l’enfant. Les autres techniques étaient également risquées, mais le développement de l’asepsie sous l’influence de Pasteur va par la suite permettre d’améliorer les pratiques.

Les jeunes enfants étaient généralement protégés par les anticorps de leur mère et ensuite par la vaccination, cependant les médecins signalent cinq cas particuliers. Trois nouveau-nés avaient développé à la fois la vaccine (cowpox) et la variole (smallpox), et deux autres avaient contracté la variole malgré le vaccin.

Sur les femmes enceintes, la variole provoquait généralement un avortement, mais une exception était signalée. Une femme était décédée de la variole après avoir mis au monde un enfant sain. Par manque de soins et d’allaitement, ce bébé était mort le lendemain. Plusieurs drames familiaux ou individuels sont évoqués par M. Dechaux, avec les réalités et la vision d’un autre temps qui pourraient être critiquables de nos jours.

Pour cette épidémie de 1886, les adultes dans la force de l’âge, entre 20 à 60 ans, étaient les plus touchés. Le nombre de malades était considérable, mais proportionnellement, il y avait moins de morts qu’en 1870. 34 décès sur 368 cas ont été comptabilisés par M. Dechaux, mais ce sont seulement ses patients ou ceux qu’il a eu l’occasion de voir en consultation. Ces chiffres ne reflètent pas la totalité des malades de la ville car il y avait d’autres médecins ; M. Danthon à l’hôpital, M. Dufour, M. Mercier, M. Duché, M. Coulhon, et cette liste n’est pas exhaustive.

Les traitements préconisés par le docteur Dechaux sont assez surprenants pour nous maintenant, mais ils correspondaient aux pratiques de l’époque. Dans les cas bénins, il recommandait le repos et une alimentation légère, des boissons tièdes ou chaudes à base de tilleul, bourrache, quatre-fleurs, des bouillons et des soupes, des potions diaphorétiques et calmantes à l’acétate d’ammoniaque, à l’eau de mélisse et au Laudanum. Dans l’étape ultérieure de la maladie et en hiver, il autorisait un peu de vin dans les boissons et même de petits verres d’hypocras, boisson que la tradition attibue à Hippocrate lui-même, « le plus grand des médecins observateurs de la nature » d’après M. Dechaux. Par ailleurs, ce médecin était aussi un adepte de la saignée d’Hippocrate qu’il pratiquait sur quelques patients et sur lui-même. En 1886, cette pratique était déjà tombée en désuétude, mais dans les cas graves de variole, il la remplaçait par l’application de sangsues à l’anus et surtout aux pieds. Il considérait que les saignements de nez ou la survenue des règles chez les femmes, étaient « des crises heureuses » pour l’issue favorable de la maladie. C’était une sorte de « soupape de sureté » disait-il, qui évitait l’excès de sang et son afflux vers le cerveau, provoquant délire, comma et congestion.

Les femmes et les mères d’ouvriers l’interrogent : « Pourquoi, monsieur, l’épidémie porte-elle presque toute sur nous et que les bourgeois n’en sont pas atteints, ou presque pas, et n’en meurent pas ? Est-ce qu’ils se tiennent plus propres, qu’ils sont mieux logés, mieux nourris, qu’ils ont le corps moins fatigué ? »

En effet, l’hygiène n’était pas à la portée de tous, car l’eau potable n’était pas couramment accessible. L’évacuation des déchets et des eaux usées laissait également à désirer. Un large fossé, situé le long du canal entre le pont de la verrerie et celui de Blanzat, avait été jugé insalubre. De nombreuses familles ouvrières vivaient dans ce quartier, dans des logements exigus, avec peu de meubles. Certains ouvriers avaient 2 à 3 lits pour 4 à 6 enfants. Dans ces conditions précaires, il était difficile de respecter les précautions essentielles pour éviter la contagion au sein de la famille. Malgré cette situation, la mortalité n’avait pas été plus importante dans cette population laborieuse, car les ouvriers des usines bénéficiaient de certains avantages. Le médecin et les remèdes étaient gratuits, ils percevaient une indemnité en cas de maladie et un supplément dans les affections graves et de longue durée.

La crainte de la contagion était variable. Si les soins aux malades et les inhumations se passaient généralement au mieux, ce n’était pas toujours la règle. Certains médecins et curés répandaient la défiance vis-à-vis des malades, qui se retrouvaient alors sans soutien et étaient abandonnés à leur sort. Dans certains quartiers et à Désertines, l’inhumation des victimes était devenue critique, car on ne trouvait pas de porteurs pour les conduire à l’église et au cimetière.

Si la peste a longtemps été considérée comme un « fléau de Dieu », ce n’était pas le cas pour la variole, qui d’après Michel Signoli, aurait pourtant fait autant de victimes. Contrairement au bacille de la peste ou au coronavirus, le virus de la variole était strictement humain. De nombreuses maladies infectieuses émergentes ou réémergentes sont des zoonoses (hommes/animaux) et leur éradication semble d’autant plus difficile. Les virus nous ont précédés et nous survivront probablement ; nous devons donc apprendre à vivre avec et contrôler les menaces des espèces pathogènes. L’éradication globale de la variole a été déclarée par l’OMS le 8 mai 1980.

Le docteur Pierre Marie DECHAUX de Montluçon (1815-1895)

Docteur en médecine, interne des Hôpitaux de Paris, médecin en Chef de l’hôpital et des principales usines de Montluçon, membre du Conseil d’hygiène, correspondant et lauréat des sociétés de médecine et de chirurgie des principale villes de France, lauréat de l’Académie de médecine, président du conseil de fabrique de l’église Saint-Pierre de Montluçon, etc, Pierre Marie Dechaux (Dechaut à l’état civil) était issu d’une famille de médecins.

Portrait du Dr Dechaux (P. Leprat)

Il était né le 23 septembre 1815 à Montluçon, de Jean Gilbert Dechaut, médecin, et de Jeanne Cibot originaire d’Évaux-les-Bains, dont l’oncle, Pierre Marie Cibot, était avoué au tribunal civil de Montluçon. Au XVIIIe siècle, Son grand-père, Roch Dechaut, époux de Françoise Richard, était lui aussi chirurgien[1].

Son père lui avait appris à aimer la botanique, la physique et la chimie, mais à son décès en 1833, il était trop jeune pour prendre sa suite. Très attaché à sa ville, son départ pour Paris avait été douloureux. De retour à Montluçon vers 1842 et durant sa longue carrière, il a assisté à l’essor de la ville, passant de 5 000 à 30 000 habitants, avec toutes les difficultés sanitaires et sociales que cette évolution engendrait.

En 1849, il avait épousé Louise Odette Legay[2], fille de Louis Guillaume Legay, maire de Montluçon et d’Antoinette Gabrielle De Laval, de laquelle il avait eu trois enfants, Louis Alexandre (1853-1853), Louise Augustine (1855-1877) et Louis Ernest Charles Henri, dit Charles, né en 1857.

Etant médecin des usines et suite aux nombreux accidents qui survenaient, il avait consigné ses observations dans un mémoire sur les plaies pénétrantes des articulations, qui lui avait valu la médaille d’or de la société de médecine de Toulouse en 1875.

Le 1er mai 1886, au début de l’épidémie de variole, une petite fille, Marguerite, était née à Montluçon au foyer de son fils Charles et de sa bru Jane Legay[3]. Charles Dechaut, avocat à Montluçon, avait épousé sa cousine, fille de Gilbert Legay, ancien préfet, ancien député et sénateur du Puy-de-Dôme, son oncle maternel.

Le Dr Dechaux avait alors 70 ans, sa famille et ses amis l’incitaient à prendre sa retraite[4] mais de toute évidence c’était un homme courageux et passionné par sa profession. Il avait tout particulièrement étudié les fièvres éruptives aux hôpitaux de Paris et ses nombreuses années d’observations et de pratique étaient un atout supplémentaire pour faire face à cette épidémie. Avant l’ère pasteurienne, il avait pourtant conscience de la contagion de cette maladie et de l’intérêt des vaccins, mais ne disposait pas des moyens de diagnostic et de traitement du XXe siècle.

Dans ses notes manuscrites sur la variole conservées par les Amis de Montluçon[5], les premiers feuillets sont manquant, ce qui ne permet pas de connaître les procédures d’administration des vaccins. Selon M. Dechaux, « on ne peut obtenir de bonnes préparations qu‘en imitant les divers moyens employés pour combattre les diverses espèces de petites véroles naturelles ». Il donne cependant quelques indications sur les précautions à ne pas négliger avant l’inoculation car il précise qu’il faut tenir compte de l’environnement et de la constitution des personnes à immuniser. L’été favorise les complications et l’hiver, lorsqu’il est beau et exempt d’épidémies, est propice à l’inoculation. Sur
les personnes affaiblies elle est déconseillée, et pour celles qui présentent une bonne constitution physique la réponse au vaccin peut être forte et dangereuse. Comme dans tous ses ouvrages, le texte comprend des expressions latines et il s’appuie sur l’avis de médecins célèbres (Stoll, Sydenhaus, Bosh, dans ses notes). Il souligne que l’ouvrage de la médecine domestique peut induire la population en erreur, car il ne faut pas négliger ou dédaigner les précautions dictées par l’expérience et la prudence des bons médecins.

En 1891, dans son ultime ouvrage « Les quatre points cardinaux de la médecine », il rappelle son attachement à Montluçon et retrace l’essentiel de ses travaux, de son raisonnement et de son choix pour une médecine naturelle fondée sur l’observation et les conseils des médecins antiques.

« J’ai fondé médicalement, et heureusement, une ville de 25 000 âmes ! C’est-à-dire que mon Montluçon à mon installation n’en avait que 5 000. Aujourd’hui, avec nos usines à verre et à fer, il dépasse 30 000. Je ne saurais dire avec quelle économie, quelles faibles ressources, quelle modeste pharmacie j’ai fait face aux plus atroces blessures et aux plus grandes maladies. Du reste, il en est à peu près de même dans toutes les fondations, toutes les extensions considérables et rapides, dans toutes les colonies, en Afrique, dans l’Inde ou à l’intérieur du continent : Des terrains découverts, nus, des défoncements de tous côtés, pas de chemins, pas de rues, pas d’arbres, pas d’ombres, pas d’écrans, pas de paravents. Des cabanes, des baraques, des garnis, des bâtiments provisoires ; des malheureux, des aventuriers à acclimater, des misères sans nombre, des efforts de toutes sortes, du surmenage de toutes parts, des maladies de toute espèce et pas de ressources ! »

De nos jours la saignée d’Hippocrate, qu’il défendait envers et contre tous, semble une technique surannée, cependant ses arguments ne paraissent pas absurdes. Il la pratiquait dans des situations bien précises, notamment aux premiers symptômes d’un accident vasculaire cérébral, en cas de risque d’éclampsie pour les femmes enceintes, ou lors de très fortes fièvres pouvant entraîner des convulsions et atteintes cérébrales. A la fin du siècle, M. Dechaux remplaçait cette pratique par l’application de sangsues (actuelle hirudothérapie), mieux acceptée par ses patients mais qui demandait plusieurs visites de surveillance.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce médecin remarquable, érudit et courageux, qui s’appuyait sur « les méthodes naturelles laissées par Hippocrate pour combattre les maladies de chaque saison et de chaque constitution »…

L’Académie de médecine de Paris a conservé plusieurs mémoires du Dr Dechaux.

 

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