Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

Du charbon, des usines et des hommes, études sur Commentry-Fourchambault et Châtillon-Commentry

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Si le bassin montluçonnais a pu s’affirmer au XIXe siècle comme l’un des bassins sidérurgiques les plus importants en France, c’est grâce à la clairvoyance et à l’esprit d’entreprise de certains hommes et de quelques familles.

Montluçon et Commentry : deux cités voisines et complémentaires dans l’essor industriel du XIXe siècle

On ne peut pas dissocier le développement de l’industrie à Montluçon de celui de Commentry tant les liens sont étroits entre ces deux cités. Deux grandes compagnies rivales qui puisent leurs racines, l’une dans le Berry, l’autre dans le Nivernais, ont su exploiter la situation géographique et les ressources du bassin commentryen et ont prospéré pendant plus d’un siècle sur le sol montluçonnais.

Les deux entreprises vont se faire face, chacune sur une des rives du Cher :  « Commentry-Fourchambault » et « Châtillon-Commentry ». Elles auront sensiblement le même déroulement industriel. Nées lors de la révolution industrielle en raison des énormes besoins en rails pour les chemins de fer, elles se consacreront par la suite aux activités d’armement puis se tourneront vers des productions civiles.

A ) Les facteurs influents de la révolution industrielle :

– Le charbon et les mines

À partir de 1840, le remplacement du charbon de bois par la houille, combustible minéral, se généralise en Angleterre pour l’industrie. En France aussi commence « le temps des mines ». Jusqu’à présent, la houille était utilisée pour les besoins domestiques tel que le chauffage. Désormais, il faut de plus en plus de charbon pour alimenter les usines. Les mines prennent donc une grande importance, et les compagnies sidérurgiques cherchent à intégrer des concessions minières dans leur patrimoine afin d’assurer leur indépendance énergétique.

– La machine à vapeur et les chemins de fer

L’invention de la machine à vapeur va entraîner une révolution dans les transports avec l’arrivée du chemin de fer. Par rapport au reste de l’Europe, la France a pris du retard à cause des guerres napoléoniennes. Il faut attendre 1823 pour que soit construite la première ligne de chemin de fer industriel entre Saint-Étienne et Andrézieux. Ensuite va se développer un véritable boom ferroviaire dans les années 1840. Pour s’équiper, la France a besoin d’importantes quantités de rails et de matériels fabriqués avec du fer et de la fonte.

– Le machinisme et l’usine

L’usage systématique de la machine et l’utilisation de la vapeur remplacent progressivement les forces humaines et animales. Les usines vont remplacer les ateliers artisanaux et les manufactures. Cela permet d’accroître la production et de diminuer les coûts. L’agriculture va connaître une mécanisation rapide de la production. Les machines remplacent peu à peu les paysans qui vont trouver un emploi en ville dans l’industrie et dans les mines. Enfin, le passage du fer à l’acier pour la fabrication des rails constitue un grand progrès dans la sidérurgie.

– Les progrès de la sidérurgie

Le haut-fourneau est un four à combustion interne, destiné à la fabrication de la fonte à partir du minerai de fer (haut-fourneau parce qu’il est chargé par le haut, et porté à une haute température). C’est un four à marche continue qui ne s’arrête jamais.

Le procédé Bessemer permet une transformation rapide du fer en acier (dépôt du brevet de convertisseur par Henry Bessemer en 1856).

Le procédé Martin-Siemens, développé en 1864 par Pierre-Émile Martin, s’appuie sur des équipements existants, en particulier sur les régénérateurs Siemens.

La sidérurgie est l’activité industrielle de transformation du minerai de fer en métal. Le fer, la fonte et l’acier sont souvent confondus. C’est le pourcentage de carbone mélangé au fer qui fait la différence. Le minerai de fer, roche contenant du fer, est d’abord broyé, criblé, puis homogénéisé. On prépare ensuite le charbon, appelé aussi houille, ou charbon de terre pour le différencier du charbon de bois. Le charbon est affiné par distillation dans un four pour obtenir du coke.

On prépare de la chaux. Les composants nécessaires sont acheminés par l’intermédiaire de bennes qui vont monter et se déverser au niveau du gueulard, grâce à un plan incliné (appelé skip).  Les minerais sont ensuite fondus à une température d’environ 1 500° C pour produire de la fonte où flottent les résidus ou impuretés appelés gangue (scories et laitier).

Le laitier servira à la confection de parpaings en mâchefer (construction des habitations ouvrières de la Ville-Gozet). La fonte sera employée pour réaliser des pièces de moulage.

Pour convertir de la fonte en acier, la fonte en fusion est versée sur de la ferraille dans un convertisseur à oxygène. L’acier sera ensuite travaillé à l’aide de machines, « marteaux-pilons » ou « laminoirs ». On obtient ainsi des produits métallurgiques comme des tôles, des poutrelles, ou encore des rails de chemin de fer.

– Les sociétés

L’organisation des entreprises qui étaient gérées jusqu’alors par des grandes familles va évoluer en prenant la forme de plusieurs types de sociétés, en participation,  en nom collectif, en commandite ou en société anonyme.

– Le canal de Berry

Les ordonnances de Napoléon 1er de 1807 donnent naissance au canal du Cher qui deviendra « Canal de Berry ». Creusé jusqu’à Vallon-en-Sully en 1815 et Urçay en 1823, la mise en service du tronçon Montluçon-Bourges date de 1834 et l’ensemble du réseau sera achevé en 1845.

Le canal de Berry, long de 261 kilomètres, débute son parcours à Montluçon par un barrage sur le Cher qui permet son alimentation par une prise d’eau. Il emprunte la vallée du Cher qu’il quitte à Saint-Amand-Montrond pour se diriger vers l’Est par la vallée de la Marmande jusqu’à la hauteur de Bannegon (Cher), où il se sépare en deux branches à Fontblisse. La branche nord-est se dirige vers la Loire. La branche nord-ouest rejoint la vallée de l’Auron jusqu’à Bourges, puis la vallée de l’Yèvre qu’elle emprunte jusqu’à Vierzon où elle retrouve la vallée du Cher.

Le canal sera un vecteur important du développement de l’activité sidérurgique de Montluçon et sa région car il permet d’acheminer le charbon du bassin commentryen vers les forges du Berry et du Nivernais et d’apporter tous les matériaux nécessaires.

L’usine Forey en 1955 (Arch. municipales, Photo R. Parent)

B ) Les entrepreneurs

– La famille Rambourg : Dans les années 1780, Nicolas Rambourg, industriel lorrain, choisit la forêt de Tronçais pour y établir des forges et des fourneaux. Il va créer les forges de Tronçais (en 1789), de Sologne (en 1793) et de Morat (en 1806). Il sera à l’origine d’une activité industrielle à Commentry. Le nom des Rambourg sera toujours présent. Ils seront commanditaires de la « Société Bougueret, Martenot et Compagnie » qui préfigure le groupe « Châtillon-Commentry », mais également commanditaires et même gérant (Paul Rambourg) de la future « Société Commentry-Fourchambault ».

– Stéphane Mony : Ingénieur de l’école des Mines de Paris, Stéphane Mony arrive à la direction de la mine de Commentry en 1840 et participe à la création du chemin de fer des houillères. Il sera gérant de la mine de Commentry de 1845 à 1866. Stéphane Mony deviendra incontournable dans la composition et la gestion d’une grande partie des sociétés.

– La famille Boigues et le groupe industriel du Nivernais : Les Boigues seront à l’origine du groupe « Commentry-Fourchambault ». Ils rassembleront une multitude de petites forges et hauts-fourneaux pour bâtir un groupe sidérurgique important dans le Nivernais.

– Les maîtres de forge Martenot, Bougueret et Jacques-Palotte : Le regroupement des maîtres de forge du Châtillonnais aboutit, en l’espace d’à peine un quart de siècle, à placer la quasi-totalité des usines à fer de la région de Châtillon-Sur-Seine sous le contrôle d’une seule société. Jean-Augustin Jacques-Palotte (1801-1884) est à l’origine du rapprochement du groupe du Châtillonnais avec l’usine de Commentry. Son fils Émile sera associé dans la gestion des forges de Commentry.

– Les frères Guérin : En 1816, les frères Guérin, industriels chassés de la Sarre, rentrent en France et reprennent l’usine métallurgique d’Imphy. Leurs fils, Hippolyte et Adolphe, prendront part aux débuts de l’usine des Hauts-Fourneaux de Montluçon.

– Les financiers

Les grandes fortunes et les bourgeois de l’époque ont vite compris l’intérêt de participer à la grande aventure industrielle du bassin montluçonnais. Denis Benoist d’Azy va s’impliquer dans le capital des Hauts-Fourneaux de Montluçon. Son fils Pierre sera à l’origine du groupe Boigues.

La construction de hauts-fourneaux à Montluçon

Montluçon remplissait toutes les conditions requises pour installer des hauts-fourneaux : le charbon des mines de Commentry, le minerai de fer et la castine apportés directement par le canal de Berry, et l’eau du Cher pour le refroidissement des installations. Et au retour, les produits fabriqués pouvaient être expédiés par le canal de Berry.

Le choix de l’implantation se porte sur une parcelle située aux Conches, sur la rive droite du Cher. Le premier haut-fourneau est achevé en 1841, le second en 1844. L’ensemble permet de produire environ 7 000 tonnes de fonte par an.

D’où l’intérêt pour Stéphane Mony, directeur de la mine de Commentry, de réaliser un chemin de fer entre Commentry et Montluçon, qui sera opérationnel en 1846.

Le 5 juillet 1849 sera créée la « Société des Hauts-Fourneaux de Montluçon », dirigée par Adolphe Guérin. Cette société assurera l’exploitation de la mine de houille de Montvicq.

Le 17 décembre 1853, sous l’impulsion de Pierre Benoist d’Azy, intervient le rapprochement entre différentes sociétés, sous la forme de la « Compagnie des Houillères de Commentry et de Montvicq, des Forges et Fonderies de Fourchambault, Montluçon, Imphy, etc…

Dans ce regroupement, la « société Boigues et Cie » a apporté des forges, fonderies, et aciéries du Cher et de la Nièvre. La « société Rambourg Frères » a apporté la mine de Commentry et le chemin de fer des houillères de Commentry à Montluçon. La « société Anonyme de Montluçon » a apporté les hauts-fourneaux de Montluçon, la mine des Bourdignats à Montvicq et les mines de fer du Marais près de Dun-sur-Auron dans le Cher.

L’ensemble de cette union représente plus de 7 000 ouvriers et produit par an 70 000 tonnes de métal fini et un approvisionnement de 450 000 tonnes de houille.

Jules Hochet supervise la commercialisation, Paul Benoist d’Azy les usines et Stéphane Mony les houillères. Ce dernier va pratiquement diriger sans partage. Sous la houlette de Stépane Mony, Miltiade Forey prit la direction de l’usine des hauts-fourneaux connue sous le nom de « l’Usine Forey ».

En 1874, la société en commandite « Boigues, Rambourg et Cie » devient « société Anonyme de Commentry-Fourchambault ».

En 1954, la « société anonyme de Commentry-Fourchambault et Decazeville » deviendra « la Société Métallurgique d’Imphy ». Le nom de Commentry disparaît définitivement de ce grand groupe et les activités de cette nouvelle société s’éloignent complètement du bassin montluçonnais.

Parmi les fabrications de cette usine, on retiendra : les rails de chemin de fer, les sabots de ferme de la Tour Eiffel, la colonne de Juillet à Paris, la fabrication de tuyaux et de plaques de regard en fonte, les piliers de la chapelle de la Croix-verte et ceux de l’église Saint-Paul de Montluçon, et les bornes fontaines que l’on pouvait apercevoir partout dans Montluçon.

Le vendredi 31 mars 1967 à 11 h 30, la sirène des Hauts-Fourneaux siffle pour la dernière fois : c’est la fermeture définitive de l’usine de la S.M.M.P (Sté Minière et Métallurgique du Périgord). Les bâtiments seront détruits en 1972.

L’usine saint-Jacques en 1958 (Arch. mun. de Montluçon, Ph. R. Parent)

Le groupe Châtillon-Commentry et ses racines :

Première racine : la branche bourbonnaise et les activités de la famille Rambourg

Les Forges de Tronçais

Créées par Nicolas Rambourg en 1788, les forges de Tronçais sont à l’origine du groupe de Châtillon-Commentry.

Pour développer ses forges de Tronçais, Nicolas Rambourg devient propriétaire des mines de Commentry en 1821, dont il donne la gérance en 1822 à son fils aîné Paul. Ce dernier prendra la tête de la mine en 1827 puis nommera Stéphane Mony à la direction en 1845.

La manufacture de glaces de Commentry

Pour utiliser son charbon extrait de la mine de Commentry, Nicolas Rambourg implante en 1824 une manufacture de verres blancs et de glaces à Commentry. Le 7 mars 1826, il s’associe à  Louis-Guillaume Leguay. À son décès, sa femme et ses enfants créent la « société anonyme de la Manufacture des Glaces et Verreries de Commentry ». qui sera mise en liquidation le 26 mai 1829, puis vendue à la société Saint-Gobain qui fermera aussitôt l’usine afin d’éliminer la concurrence !

La Forge de Commentry

Le 21 août 1840, les trois frères Rambourg (Paul, Charles et Louis) et Stéphane Mony créent la société « Rambourg frères ».

Le 30 juin 1841, Stéphane Mony sollicite l’autorisation de construire à Commentry deux hauts-fourneaux destinés à la fabrication de fer.

Après pourparlers avec les frères Rambourg et S. Mony, Jean Auguste Jacques-Palotte, Jean-Baptiste Déchanet (maître de forges et directeur des forges de Tronçais) et les frères Auguste et Charles-Nicolas Martenot (ingénieurs civils et industriels) créent dans les locaux de l’ancienne glacerie de Commentry la société commerciale « Martenot frères, Déchanet, Jacques-Palotte et Cie », en vue de créer une « usine à fer ».

Seconde racine : la branche châtillonnaise

Jean-Auguste Jacques-Palotte eut l’idée de réunir le groupe de Châtillonnais avec l’usine de Commentry et celle d’Ancy-le-Franc . Une société anonyme fut créée le 1er juillet 1846, la  « Société Bougueret-Martenot et Cie » avec le clan des Rambourg.

La principale raison de cette fusion réside dans les liens de parenté et d’intérêt qui unissent les principaux maîtres de forges des deux régions, mais également dans les perspectives de remplacement de la fonte au bois par la fonte au coke pour l’élaboration du fer.

Devant la demande croissante de matériel pour les chemins de fer, la nouvelle société va, sitôt créée en 1846, projeter d’implanter une usine à Montluçon.

Leur choix se porte sur « le Grand Saint-Jacques », terrain sur la rive gauche du Cher, en face de l’usine concurrente des Hauts-Fourneaux.

Cette usine, créée à l’origine pour la fabrication de rails de chemin de fer, va se développer au fil du temps grâce à des fabrications militaires en alternant le projectile (boulet puis obus) et la cuirasse (plaques blindées et casemates), puis, après la seconde guerre mondiale, elle va s’orienter vers des productions civiles : pièces pour l’automobile, équipement pour les alternateurs des grands barrages, et l’on retiendra quelques fabrications «Made in Montluçon» tel que l’un des arbre de transmission du paquebot «France» ou une sphère de bathyscaphe.

Le site présente plusieurs avantages : proximité du canal de Berry pour l’approvisionnement des matières premières et l’expédition des produits et proximité du Cher pour avoir de l’eau industrielle.

La société négocie l’acquisition de plusieurs concessions houillères afin d’assurer l’approvisionnement en charbon pour ses fours, les Biolles et les Ferrières sur Néris-les-Bains, puis Doyet et Bézenet.

L’usine Saint-Jacques sera opérationnelle en 1848. Elle deviendra l’une des plus importantes de la société.

Le 23 juin 1862 naît la « Compagnie des Forges de Châtillon et Commentry » qui fera l’acquisition de la forge de Vierzon, des « ateliers de la Ville-Gozet » et de nouvelles concessions houillères. L’exposition universelle de 1889 sera l’occasion de présenter le savoir-faire de ses usines.

La Compagnie qui a déplacé ses activités vers l’Est de la France va abandonner progressivement ses concessions houillères bourbonnaises, Bézenet, l’Ouche-Bézenet, Doyet et la Souche vendues en 1915, Fins et Noyant en 1943. En 1934, elle ferme ses établissements de Tronçais. Les « ateliers de la Ville-Gozet » seront cédés en 1947 à la société lyonnaise « Pinguély » (vendue en 1962 à la société Joy).

Usine Saint-Jacques : première coulée sous vide (Ph. A. Gourbet)

À partir de 1964, le déclin s’accélère pour Saint-Jacques :

– Janvier 1964 : annonce du licenciement de 886 membres du personnel

– De 1964 à 1967, fermeture des ateliers et démolition des bâtiments

– 1970 : démolition de la cheminée de Charpy aux établissements « Zéland-Gazuit »

– Mars 1972 : fermeture définitive de l’aciérie entraînant le licenciement de 113 employés.

Finalement, les derniers bâtiments de la fonderie seront détruits en 1986 pour faire place à un complexe culturel et un centre commercial. Le rideau tombe définitivement.

Causalité d’une fin prévisible

L’épuisement du bassin houiller de Commentry et l’électricité qui remplace le coke dans la sidérurgie, la qualité du minerai de fer du Berry qui ne correspond plus aux besoins, le déclassement du canal de Berry, l’éloignement des lieux d’approvisionnement en matières premières sont autant de facteurs qui ont entraîné le déclin de l’industrie sidérurgique dans le bassin montluçonnais.

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