Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

De Néris-les-Bains à Montluçon : le déplacement du centre urbain au regard des témoignages archéologiques

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Le pôle urbain principal de la région du Haut-Cher, au sud du pays biturige, est Néris-les-Bains aux époques antiques et mérovingiennes. À l’époque carolingienne, les preuves archéologiques y deviennent plus ténues. Jusqu’au VIIIe siècle, à 8 km, la plaine de Montluçon montre une occupation essentiellement rurale, avec des domaines agricoles et des moulins hydrauliques. Pendant l’Antiquité, elle est équipée d’un pont de pierre sur le Cher et peut-être d’une petite bourgade attenante. L’époque mérovingienne n’y montre que de petites nécropoles. Le faisceau important de datations réalisées au cours des chantiers archéologiques depuis 2000 permet de montrer un basculement progressif, avec une place-forte, une ou plusieurs églises, un pont rebâti sur la rivière et des moulins hydrauliques avec meules à grain permettant d’alimenter une population visiblement en augmentation. La convergence de ces datations s’établit autour des VIIIe-Xe siècles.

Les sites de Néris et Montluçon pendant l’Antiquité et le réseau viaire

Néris est la principale agglomération du sud de la cité des Bituriges Cubi. Après la conquête romaine, la ville thermale se développe et est dotée d’une infrastructure urbaine aves des thermes, un théâtre, un temple, des quartiers artisanaux. Elle constitue un pôle urbain, en limite du Massif central et du Bassin parisien.

À Montluçon, les vestiges antiques sont diffus et ne permettent pas d’établir une réalité urbaine. Le temple important des Hauts de Buffon est un édifice remarquable, qui est peut-être un sanctuaire rural. Dans la plaine ont été trouvées, au quartier des Îles, les vestiges d’une petite nécropole apparemment familiale et liée à un domaine agricole.

S’il n’y a pas de ville, par contre un réseau viaire antique passe sur son futur emplacement. Les grands axes s’y croisent qui relient les chefs-lieux des civitates de Poitiers, Bourges, Autun, Lyon/Clermont et Limoges. À Montluçon, pendant l’Antiquité, se trouvaient un pont de pierre et plusieurs voies, dont une importante a été trouvée dans la rivière. Celle-ci montre un croisement de trois voies se dirigeant vers l’ouest, le nord et le sud. La bifurcation du sud rejoignait à une centaine de mètres un pont sur lequel nous avons pu singulariser une phase antique, caractérisée par des blocs taillés avec trous de louve et liaison par agrafes scellées au plomb et sur lit d’attente sans mortier. À 50 m du bout de ce pont s’élevait un bâtiment carré massif en petit appareil, détruit à la fin du XIXe siècle, photographié lors de sa destruction et dans les maçonneries duquel a été trouvé un as de Nîmes. Quelques indices diffus de l’Antiquité ont été repérés dans ce bas quartier en zone inondable, mais qui ne permettent pas de définir un fait urbain. Tout juste peut-on dire qu’un bâtiment, peut-être lié au réseau routier et au pont, se trouvait là, avec la possibilité d’une occupation de quelques maisons à proximité.

En plus de Néris – la principale ville antique à 8 km – des agglomérations secondaires bordent la vallée de Montluçon, à Quinssaines à 8 km à l’ouest sur la voie de Limoges et à Saint-Victor à 7 km au nord sur le croisement des voies de Bourges et d’Autun.

Les moulins antiques de Montluçon

Sur le site de Montluçon-Maugacher, qui perdurera pendant les périodes suivantes, deux moulins hydrauliques antiques tournaient dans la rivière du Cher. Leurs meules en grès étaient destinées à la mouture de céréales et étaient importées de carrières distantes de 30 à 50 km au nord. Les moulins antiques se trouvent généralement à proximité des agglomérations, mais ils peuvent aussi être liés à un grand domaine. Deux anciennes paroisses supprimées à la Révolution se rejoignaient sur le site, celles de Blanzat (340 ha) et de Châteauvieux (90 ha). Ces petites paroisses auraient pu succéder à de grands domaines antiques, mais pourraient aussi se calquer sur des domaines médiévaux plus tardifs.

L’archidiaconé de Narzenne : la suprématie de Néris au début du haut Moyen Âge 

Les divisions ecclésiastiques témoignent de territoires qui vont garder des liens avec les divisions politiques locales. L’établissement des archidiaconés montre la prééminence de Néris. Celui qui recouvre le territoire porte le nom de Narzenne, dont le nom est issu de Néris et s’étend sur un large pays du sud de la cité des Bituriges. Il est cité dès le VIe siècle. Le siège de l’archidiaconé est établi à Néris. Les limites internes de l’archidiaconé de Narzenne – les archiprêtrés – divisent la vallée de Montluçon en deux territoires : l’archiprêtré de Narzenne/Néris et l’archiprêtré d’Huriel. La limite ne tient aucun compte de la géographie, en passant d’une rive à l’autre de la rivière, ni ne prend en compte la ville future de Montluçon et divise même en deux la colline de la ville, laissant présumer des instantanés politiques qui n’ont pas persisté. Les deux églises et paroisses de la ville, distantes de 120 m, dépendront chacune d’un archiprêtré différent. Cette limite pourrait-elle présumer de l’absence d’une ville lors de ce partage ? À une date inconnue, entre le IXe et le XIIIe siècle, le siège de l’archidiaconé n’est plus à Néris mais à Montluçon et il sera rattaché à l’église Notre-Dame. L’archiprêtré de Narzenne perd son nom pour celui de Montluçon. En revanche, l’archidiaconé conserve son ancien vocable de Narzenne, qu’il pérennisera jusqu’à la Révolution.

Les trois archidiaconés du sud de l’évêché de Bourges – Narzenne, Bourbon et Bruère – recouvrent par la suite en partie des réalités politiques, dont témoignent les textes disponibles à partir des Xe-XIe siècles :

– Le Narzenne va se diviser en plusieurs baronnies : à l’ouest celle d’Huriel, au centre la baronnie de Montluçon, tandis que l’est sera dominé par les Bourbons.

– L’archidiaconé de Bourbon va être entièrement sous le gouvernement des puissants barons de Bourbon. La limite des deux seigneuries va demeurer plusieurs siècles sur l’ancienne frontière des archidiaconés, à 4 km seulement au nord de Montluçon, dans la vallée du Cher entre Désertines et Saint-Victor.

– L’archidiaconé voisin de Bruère sera divisé entre plusieurs fiefs importants, tout en passant progressivement par l’est sous la domination des Bourbons.

La période mérovingienne

La ville de Néris semble toujours dominer la région aux VI-VIIe siècles. À Montluçon, quelques pierres tombales de cette période ont été trouvées, mais dans un contexte de réutilisation au Moyen Âge classique. Le petit bourg de Châteauvieux, aujourd’hui dans la commune de Montluçon, a montré un cimetière mérovingien, près de son église, mais aucune trace archéologique certaine ne peut établir une présence de la période mérovingienne sur le site de la ville.

Néris montre à l’inverse un cimetière mérovingien très important. À Saint-Victor, agglomération secondaire au nord de la vallée, un autre cimetière de cette période et plusieurs moulins et pêcheries fixes, montrant l’implantation d’une autorité forte maîtrisant les droits de l’eau, ont été découverts dans la rivière, datant du Ve au VIIe siècle.

La période carolingienne : le basculement du pôle urbain 

À Néris, quelques actes en faveur de monastères poitevins et limousins du roi d’Aquitaine Pépin 1er sont donnés en 834 et 838 depuis la ville. On sait que le palais régional des rois d’Aquitaine était à Ebreuil à un peu moins de 50 km à l’est de Néris. Toutefois, la présence du roi à Néris pourrait montrer qu’à cette période-là, cette ville a gardé une certaine importance, ou du moins une résidence capable de recevoir le roi, d’autant que les actes de donation donnés ne relèvent pas d’un caractère d’urgence. Pourtant, archéologiquement, Néris a montré peu de vestiges de cette période. Il est vrai que les inhumations de cette époque ne sont pas fastueuses. Et sans doute le tropisme antique de la ville a-t-il concentré les recherches sur la période considérée comme étant la plus brillante.

Montluçon apparaît alors pour la première fois dans l’histoire avec un texte apocryphe d’une vitae de Saint Ménélée – mort en 720 – faisant mention d’un « oppido… quod Monslucci communi vocabulo nuncupatur a tempore prisco ». L’archéologie va apporter, dès lors, un certain nombre d’éléments et de datations qui vont confirmer une implantation plus importante à Montluçon (Fig. 5).

Sur l’esplanade du château, un foyer métallurgique a été daté entre 689 et 885, centré sur les VIIIe-IXe siècles. Les fouilles réalisées près de l’église Notre-Dame ont clairement montré une occupation de la période carolingienne, avec des implantations de bâtiments en bois et d’une construction monumentale peut-être fortifiée, qui évoquent une structure castrale. Des charbons de bois ont été datés entre 778 et 995. Sur une autre partie, des scories métallurgiques ont été datées entre 970 et 1030. Tous ces éléments sont antérieurs à l’installation de l’église et du cimetière. Le sanctuaire a lui-même été installé dans une zone déjà densément occupée. Les datations faites sur les plus anciens ossements du cimetière sont entre 894 et 1016.

Un moulin trouvé dans le Cher juste en amont de la ville, face au Quai Rouget de l’Isle, a été daté par C14 entre 720 et 900. Il montre de surcroît une orientation de la rivière du sud vers le nord à un moment de cette période, indiquant que le Cher n’a pas regagné son lit depuis son abandon du Pont-Vieux antique. Ce dernier, abandonné en raison du déplacement de la rivière, est rebâti sur ses fondations après la disparition de ce moulin, à cause d’un nouveau déplacement du Cher qui l’a ramené dans son ancien chenal. Des charbons de bois extraits de son mortier sur une phase de construction ont permis de dater par radiocarbone une reconstruction entre 670 et 1040 à 2 sigmas et 770-990 à un sigma. Enfin, à Montluçon-Maugacher, quatre moulins sont datés, par typologie des meules, Carbone 14 et dendrochronologie, à cette même période, avec des datations à 775-885, 777-915, 874-896, 898-1027 et 969-1045.

À Montluçon, une plaine agricole antique puis une ville au haut Moyen Âge

En résumé, les données montrent que le centre urbain s’est progressivement transporté de Néris à Montluçon. Néris est toujours la ville principale de la région pendant l’Antiquité et la période mérovingienne. Le faisceau important de datations réalisées permet de montrer une importante occupation de la ville avec de fortes probabilités de place-forte, d’une ou plusieurs églises, d’un pont rebâti sur la rivière et des moulins à grains permettant d’alimenter une population visiblement en augmentation. La convergence de ces datations s’établit autour des VIIIe, IXe et Xe siècles.

La polarisation urbaine de Néris s’estompe. Nombre de grands axes qui ne passent pas à Néris se croisent dans la plaine à 8 km au nord. L’activité agricole puis marchande se centralise dans la plaine céréalière et bien irriguée de Montluçon, en contraste avec le socle granitique peu fertile. Les agglomérations secondaires nord et ouest de Saint-Victor et Quinssaines ne sont plus que des villages. Le basculement probable du pôle local est sans doute progressif au cours des VIIIe et IXe siècles.

La tradition locale parle des raids hongrois en 935 et 937, qui firent des incursions en Aquitaine, dont faisait partie la région, et qui auraient détruit la ville. Mais le retour aux textes montre une incursion dans l’évêché de Bourges et d’un combat vers Orléans, à 200 km… et l’archéologie n’a pas confirmé une destruction violente de Néris. La ville semble avoir perdu son rôle principal bien avant cela.

Alors que les fouilles à Montluçon/Notre-Dame montrent un site fortifié vers les VIIIe-Xe siècles, et hors le texte apocryphe du VIIIe siècle cité plus haut, les archives disponibles tardivement, en 1049, parlent d’un « castrum Montis Lucii », qui n’était vraisemblablement pas sans seigneur. Le nom du premier connu, Willelmus de Borbo dominus de Monte Lucio n’apparaît que tardivement, en 1141, alors que la ville et une fortification existent déjà depuis deux à trois siècles. Une baronnie autonome de Montluçon apparaît dès lors, qui s’étend sur une partie de l’ancien Narzenne et fait frontière à ses portes nord à la seigneurie de Bourbon. Le siège de l’archidiaconé n’est plus à Néris, mais à Montluçon.

La filiation de Montluçon à Néris est rappelée dans plusieurs documents dont le plus ancien est le polyptique de Notre-Dame de Montluçon [circa 1455-1473]. Sept panneaux représentent la vie de la Vierge avec des arrière-plans qui figurent des paysages et édifices locaux. Comme une parenté symbolique du territoire, les scènes ne représentent que des paysages et des bâtiments du Narzenne dont trois fois en arrière-plan Néris, autant de fois que Montluçon en plans avancés. Cela est sans doute motivé par le fait que le prieuré Notre-Dame, qui abrite l’œuvre, est devenu le siège de l’archidiaconé.

Un déplacement de pôle qui n’est pas unique

L’abandon partiel de Néris au haut Moyen Âge et le développement de Montluçon s’inscrivent dans un phénomène plus large. La dégradation physique des bâtiments publics et les indications démographiques montrent un déclin urbain général au haut Moyen Âge, avec un point bas entre 400 et 600, la reprise urbaine ne se faisant sentir qu’à partir du VIIIe siècle selon les régions. Il semble bien que l’exemple Néris/Montluçon l’illustre assez bien.

Quelques exemples régionaux montrent des déplacements de pôles urbains ou de pôles administratifs sur des sites voisins : Néris migre à Montluçon vers le IXe siècle ; Bruère, Allichamps et Drevant à Saint-Amand-Montrond vers le XIe siècle ; Yzeure à Moulins au XIIIe siècle. La ville dépendra jusqu’à la révolution de la paroisse d’Yzeure. Vichy et Cusset alternent avec deux pôles antiques, puis un repli à Cusset au haut Moyen Âge, avant un redéveloppement de Vichy doté d’un pont au moins au XIVe siècle, et de nouveau deux pôles médiévaux concurrents : Cusset dépend du roi et Vichy du duc de Bourbon. Plusieurs sièges d’archidiaconés vont basculer, sans que les lieux de départ ou d’arrivée soient obligatoirement urbains au moment des transferts, et à des périodes qui ne nous sont pas connues : c’est le cas de Châtel-de-Neuvre qui est remplacée par Souvigny – pôle religieux à partir du Xe siècle – et de Lubié qui migre à Lapalisse.

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