Le 3 janvier 1823, les avocats montluçonnais se réunirent pour constituer le Barreau de Montluçon.
Dès avant, bien entendu, les avocats officiaient à Montluçon. L’une des traces importantes de leur exercice est le règlement intérieur établi en 1771 intitulé « Statuts de la Communauté des Avocats postulants, procureurs de la châtellenie royale de la Ville de Montluçon ».
L’ordre ainsi constitué vécut jusqu’en 1790. Survint alors la loi des 1er et 2 septembre 1790 qui a supprimé les ordres : leurs membres devenaient des défenseurs officieux et ne pouvaient plus porter la robe.
Sans grand enthousiasme, Napoléon rétablit le titre d’avocat par la loi du 22 ventôse an XII (13 mars 1804) et leur costume par la loi du 2 nivôse an XI (23 décembre 1802). Six ans plus tard, un décret impérial du 14 décembre 1810 règlemente l’exercice de la profession d’avocat et la discipline du barreau. Les avocats exerceront alors sous le strict contrôle de l’empereur tel que le souligne leur serment :
« Je jure obéissance aux constitutions de l’Empire et fidélité à l’Empereur ; de ne rien dire ou publier de contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’État et de la paix publique ; de ne jamais m’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques, de ne conseiller ou défendre aucune cause que je ne croirai pas juste en mon âme et conscience. »
Il faudra attendre l’ordonnance royale des 20-23 novembre 1822 pour que les avocats retrouvent leur liberté et que renaissent les ordres.
Les registres de l’ordre, tenus à compter de cette époque à Montluçon, permettent de retracer la vie du barreau.
Les évènements qui marquent la vie du Barreau de Montluçon avant la première guerre mondiale de 1823 à 1914 :
La création du barreau
Le 3 janvier 1823 naît le Barreau de Montluçon. Il se compose alors de dix avocats. Un registre est ouvert qui nous permettra de retracer la vie de cette institution. Le règlement est un véritable guide comportemental et déontologique des avocats :
Les articles 6 et 7 rappellent le comportement que doit avoir un avocat notamment au cours d’une audience. Ainsi est-il précisé :
« Il devra toujours mesurer ses expressions dans la nature des faits et sur la réalité des preuves. Il s’abstiendra surtout de ne rien dire qui soit étranger à la cause et qui puisse offenser une partie dans ce sujet, ne devant jamais user de son ministère pour insulter impunément qui que ce soit ni de s’écarter de la modération.
Les avocats se tiendront debout et découverts lorsque le tribunal fera annoncer son entrée dans la salle d’audience.
Les mêmes règles de bienséance seront observées par les avocats lorsque le tribunal prononcera son jugement dans une affaire qu’ils auront plaidée. En effet, les avocats se lèvent lorsque la juridiction entre dans la salle. Il en est de même lorsqu’elle prononce son jugement ».
Ces règles perdurent encore aujourd’hui. Innovant également, l’article 8 prévoit qu’il y aura un bureau de consultation gratuit en faveur des indigents.
La vie ordinaire d’un barreau
Très rapidement, le Barreau de Montluçon sera un barreau militant puisqu’une première pétition sera adressée au préfet du département de l’Allier le 6 février 1824. Les avocats déplorent leurs mauvaises conditions d’exercice et sollicitent une aide financière permettant l’aménagement de la salle d’audience du tribunal de Montluçon.
Par la suite, le bâtonnier sera élu tous les deux ans ainsi qu’un Conseil de l’Ordre. Les membres composant le conseil de discipline seront également élus.
Pendant de nombreuses années, la vie de l’Ordre des Avocats ne sera rythmée que par la désignation du bâtonnier et des membres du conseil de discipline. L’effectif du barreau sera stable, oscillant entre cinq et dix avocats.
En 1857, les membres du barreau décident de fixer le tarif de leurs interventions.
Ainsi, une provision de 40 F (130,80 €) sera demandée pour une affaire ordinaire et de 25 F (81,75 €) pour une affaire sommaire.
Ce registre recense également de nombreuses lettres qui ont pu être adressées par les membres du barreau sollicitant leur bâtonnier parce que des incidents d’audience surviennent, ou encore pour qu’en période estivale les audiences soient décalées de l’après-midi au matin. Autre exemple, un avocat se plaint d’avoir été interrompu par le procureur impérial pour faire passer une affaire de police correctionnelle en flagrant délit. Les échanges épistolaires concernant cette affaire sont retracés en totalité et ont abouti à une entente entre avocats et magistrats.
Petit à petit, le barreau se restreindra puisqu’en 1869 il ne comptera plus que deux avocats en exercice et un avocat stagiaire, ce qui entravera considérablement l’exercice de la profession et la tenue des audiences. Cependant, à partir de 1871, les effectifs reprendront leur ampleur normale.
En 1888, l’ancien tribunal tombant en ruines, le palais de justice actuel a été construit place de l’Hôtel-de-Ville. Mais le 22 octobre 1888, les avocats interpellent le président du tribunal en indiquant que l’ancien tribunal n’est pas chauffé et donc il est matériellement impossible d’y passer l’hiver… D’autre part, le nouveau palais de justice est inachevé, et donc inapte à satisfaire aux exigences du service de la Justice. Plus loin, les tentures rouges dans la salle d’audience, aussi bien que le projet de construction d’une marquise, sont des sujets à contestations et réclamations.
Sont également retracées les saisines du bâtonnier pour des manquements reprochés aux membres du barreau et le déroulement des conseils de discipline. Ainsi, le 16 mai 1906, le commissaire central de Montluçon a saisi le bâtonnier d’une plainte à l’encontre d’un avocat l’ayant traité de « blanc-bec » au cours de sa plaidoirie… Aucune suite ne fut donnée à cette plainte. Est également évoqué le décès de Félix Faure, président de la République décédé au Palais de l’Elysée le 16 février 1899 dans les circonstances connues de tous… mais pourtant suivi de la célébration d’un service funèbre en l’église Notre-Dame le 9 mars 1899. Le 19 avril 1910, le Conseil de l’Ordre est amené à donner son avis sur la fixation des vacances judiciaires annuelles à la période comprise entre le 1er août et le 1er octobre.
Le Barreau de Montluçon de 1914 à 1945
Le barreau pendant la Première Guerre Mondiale et l’entre-deux-guerres
La Grande Guerre éclate et l’activité du barreau semble suspendue. Il n’y aura pas d’élections pendant 5 ans. Aucune assemblée générale n’est tenue entre 1914 et 1918. Le registre des délibérations de l’Ordre des Avocats ne fait mention que d’un seul élément : l’inscription le 22 juillet 1915 de Me Louis Michel, né le 18 mai 1895 à Montluçon, mobilisé et décédé à Bouchavesnes le 15 octobre 1916. Suite à ce décès, un long hommage est retranscrit dans le registre. On y apprend également que son père, M. Maurice Michel, a fait don d’une somme de 100 F à l’Ordre des Avocats, trouvée sur son fils après sa mort. Concernant Me Michel, il est précisé que celui-ci a été cité à l’ordre de sa division. « Sous-officier plein de courage, s’est porté à plusieurs reprises au secours d’hommes enterrés. Est tombé glorieusement au cours du combat ».
Le 12 novembre 1918, une mention est à nouveau portée au registre, aux termes de laquelle les membres de l’Ordre des Avocats ont décidé d’adresser à Georges Clémenceau, à l’occasion de la signature de l’Armistice, un télégramme d’hommage et de reconnaissance.
Très rapidement, l’activité du barreau reprend et se poursuit jusqu’en 1939 au gré des inscriptions d’avocats, des assemblées générales, des élections du bâtonnier et des membres du Conseil de l’Ordre, du décès d’un avocat en exercice, d’un hommage en l’honneur de Pasteur, de l’adhésion à l’Association nationale des avocats inscrits aux barreaux de France, des colonies, des pays de protectorats et de mandats, de la somme allouée au greffier en chef du Tribunal civil pour la préparation et la distribution de la feuille d’audience hebdomadaire, et de la création, en 1925, de la Caisse de Retraites et de Prévoyance des Avocats du Barreau.
Si l’activité du Barreau, vue au travers des registres, a été restreinte au cours de la première guerre mondiale, il en va autrement pour la seconde guerre mondiale.
Le Barreau pendant la seconde guerre mondiale
Les délibérations et les décisions sont nombreuses.
Dès le 20 décembre 1939, Me Arfeuillère et Me Meunier sollicitent leur mise en congé pendant la durée des hostilités.
Le 6 septembre 1940, il est rendu hommage à Me Roger Baraud, mort au champ d’honneur. Trois membres du barreau sont alors prisonniers : Mes Arfeuillère, Montagne et Charbonnier. Le Conseil de l’Ordre décide de leur envoyer des colis de vivres et de vêtements.
Le 12 novembre 1940, le bâtonnier indique qu’il a reçu la visite de plusieurs avocats belges et français réfugiés à Montluçon ou dans les environs, et qu’il a fait de son mieux pour leur venir en aide et faciliter leur rapatriement.
Il est également précisé que le bâtonnier a assisté à une réunion de la délégation spéciale de la Ville de Montluçon le 4 novembre 1940, à l’issue de laquelle le barreau a participé au financement du Comité d’Entraide Sociale de la Ville de Montluçon, comité chargé de venir en aide aux chômeurs et aux malheureux au cours de l’hiver en versant la somme de 3 000 F.
Une plaque commémorative sera également installée en mémoire de Me Baraud, mort au champ d’honneur.
Dans cette même délibération, il est également indiqué que « Les temps deviennent de plus en plus difficiles pour l’exercice de notre profession et que la gêne pourrait s’installer parmi les membres du barreau. En conséquence, il [le bâtonnier] propose de procéder à une répartition des fonds de la Caisse de Prévoyance. À l’unanimité, le Conseil de l’Ordre est d’avis de demander au secrétaire de fournir des relevés exacts des sommes disponibles et de procéder à leur répartition.
Enfin, il est rappelé à tous les membres du barreau qu’il est formellement interdit de remettre des cigarettes et des aliments aux détenus à la Maison d’Arrêt, comme aussi de se charger de leurs correspondances ».
Le 13 décembre 1940, une nouvelle mention est inscrite au registre, s’agissant de l’hommage à Mes Baraud et Charbonnier, morts pour la France.
La loi du 26 juin 1941 institue le certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Conformément à cette loi, un nouveau règlement intérieur est établi, réglementant l’exercice de la profession et la discipline du barreau.
Il est précisément indiqué à l’article 17 que toute personne qui demande son admission au stage devra remettre au bâtonnier les pièces établissant qu’elle possède à titre originaire la qualité de français.
Ainsi, contrairement aux autres demandes d’admission au stage, celle de Me Georges Dutheil précisera que celui-ci est « de nationalité française, né de parents français, le 24 septembre 1887 à Aubusson, non juif, de bonne moralité, licencié en droit de la Faculté de Poitiers le 27 juillet 1912 ». Parmi les autres demandes d’admission ou d’inscription présentées, il s’agira de la seule mentionnant l’origine de parents français et non juifs.
Le 2 octobre 1942, Me Meunier demandera sa mise en congé pendant toute la durée des hostilités.
L’assemblée générale du 15 mai 1943 décide à l’unanimité que le bâtonnier et le secrétaire devront faire le nécessaire auprès du maire de la Ville de Montluçon, afin que Me Arfeuillère soit libéré.
Une assemblée générale se tiendra à nouveau le 7 octobre 1943. Il est précisé : « En raison du bombardement de la région montluçonnaise qui a eu lieu dans la nuit du 15 au 16 septembre 1943, les avocats du Barreau de Montluçon se sont réunis et ont alloué une somme de 3 000 francs à la Mairie de Montluçon pour venir en aide aux familles des sinistrés ».
Des réunions et des assemblées générales se tiendront au cours de l’année 1944, mais la réunion du Conseil de l’Ordre du 12 septembre 1944 sera particulièrement marquante, puisqu’il est indiqué :
« Monsieur le Bâtonnier expose que grâce au courage et à la vaillance des Forces Françaises de l’intérieur de la région montluçonnaise, les allemands étaient chassés de notre ville, qui se trouve libérée, que cette libération ne s’est pas faite sans perte de vies humaines et sans dégâts matériels de toutes sortes et que nous devons venir en aide à tous ceux qui ont souffert de la barbarie nazie (familles des fusillés des combattants morts pour la France, sinistrés, etc…).
(…) Il décide en conséquence qu’une somme de 4 000 F prise sur la caisse de prévoyance du barreau sera versée à la Mairie de Montluçon.
Monsieur le Bâtonnier, au nom de tous les confrères du Barreau de Montluçon, salue le retour parmi nous de Me Menu, résistant de la première heure et emprisonné de ce fait en juillet 1944 par les services de Police du soi-disant Gouvernement de Vichy ».
Enfin, une réunion du Conseil de l’Ordre du 15 février 1945, prise consécutivement à l’ordonnance du 27 juin 1944 relative à l’épuration administrative sur les territoires de la France Métropolitaine, décide qu’aucune sanction ne peut intervenir pour les membres du barreau, étant donné les considérants suivants :
« Considérant qu’un certain nombre d’entre eux ont fait l’impossible pour soustraire leurs clients à une condamnation pour faits de résistance et ont ainsi fait échapper des patriotes recherchés par la Gestapo.
Considérant que l’un d’entre eux a été mis en état d’arrestation par les services de Police de la Milice et emprisonné à la maison d’arrêt de Riom, qu’un autre a dû fuir et se cacher pour échapper aux Allemands et aux agents de la bande du PPF, et que tous les avocats du barreau se sont déclarés solidaires de leurs confrères injustement frappés et recherchés.
Les femmes au Barreau
A la fin du XIXe siècle, un certain nombre de femmes licenciées en droit s’insurgent contre l’impossibilité pour elles de devenir avocats. Il faudra cependant attendre la loi du 1er décembre 1900 pour que les femmes diplômées de la licence en droit puissent exercer la profession d’avocat. À Montluçon, on ne voit nulle mention dans les registres de 1900-1901 concernant la possibilité pour les femmes d’exercer la profession. Ainsi, pendant plus de 40 ans, le Barreau de Montluçon demeurera exclusivement masculin.
Il faudra attendre le 25 novembre 1946 pour que Madame Micheline Eyboulet épouse Deloze soit inscrite, en qualité de stagiaire, suivie en juillet 1949 par Madame Nicole Soudry. Elles n’exerceront que quelques années et démissionneront au début des années 50.
Ce n’est que 23 ans plus tard que quelques femmes solliciteront leur inscription au Barreau de Montluçon. Ainsi, au 1er janvier 1978, il y avait trois femmes inscrites sur les quatorze avocats. En 1989, deux femmes entrent au Conseil de l’Ordre : Me Marie-France Southon et Me Françoise Deviller. Cette dernière sera la première femme élue Bâtonnier de l’Ordre des Avocats. Elle exercera ses fonctions en 1994-1995, puis en 2002-2003.
La parité sera atteinte en 2004. Il y avait alors douze femmes inscrites sur les vingt-quatre avocats.
À la fois maires et avocats
On dénombrera trois avocats du Barreau de Montluçon qui seront maires de la ville :
Étienne Monanges est né à Ussel le 29 décembre 1836. Il a prêté serment le 14 novembre 1859 près de la Cour d’Appel de Riom. Il sera tout d’abord inscrit auprès du Barreau de Clermont-Ferrand à compter du 21 novembre 1862. Mais il rejoindra rapidement la magistrature, devenant procureur impérial à Montluçon. À la chute de l’Empire le 4 septembre 1870, il demandera son inscription au Barreau de Montluçon où il sera élu bâtonnier à huit reprises.
Il deviendra maire de Montluçon du 1er mars 1874 au 3 avril 1876 puis du 10 octobre 1877 au 8 février 1878. À son décès en 1917 aucune mention n’est portée dans le registre de l’Ordre. Son fils Maurice sera également avocat au Barreau de Montluçon, inscrit sur la liste du stage le 19 novembre 1890.
Lucien Menut est né à Commentry le 30 juillet 1888. Il a effectué ses études de droit à la Faculté de droit de Paris. Licencié en droit le 6 novembre 1908, il a prêté serment le 23 près de la Cour d’Appel de Riom, et dès le 24 il a été inscrit sur la liste du stage. Élu bâtonnier à quatre reprises, il deviendra maire de Montluçon du 15 juin 1946 au 28 avril 1950. Il fêtera son jubilé le 25 novembre 1958, et décédera le 18 mars 1967 à Montluçon.
Maurice Brun est né le 25 juillet 1925 à Montluçon. Il a effectué ses études de droit à la Faculté de droit de Paris. Il y obtiendra une licence de droit en juin 1946. Il a réussi l’examen d’aptitude à la profession d’avocat le 5 novembre 1946. Le 12 novembre, il est inscrit sur la liste du stage, et le 18 il prête serment près de la Cour d’Appel de Riom. Il succédera à son père Paul Brun en 1951 et sera élu bâtonnier en 1978.
Il deviendra maire de Montluçon le 18 juin 1972, conseiller général le 2 juillet 1972 et député du 11 mars 1973 au 2 avril 1978. Il fut également vice-président du conseil régional d’Auvergne. Il décédera le 5 août 2021 à Montluçon.
Le Barreau de Montluçon moderne
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les évolutions législatives concernant la profession d’avocat sont denses et nécessitent de nombreuses adaptations du règlement intérieur. Elles concernent ainsi le maniement des fonds, le recouvrement en justice des honoraires impayés, la création des caisses de règlements pécuniaires des avocats, mais aussi la fusion des avocats et des avoués, puis des avocats et des conseils juridiques.
La décolonisation pousse de nombreux avocats à rejoindre la Métropole. Ainsi, Me Armand Anduze-Archer, bâtonnier d’Oran, et Me Victor Vaugien, bâtonnier de Mascara, sollicitent leurs inscriptions au barreau.
Le 1er juillet 1993, la Maison de l’avocat est créée.
En 2007, le barreau milite avec acharnement contre la réforme de la carte judiciaire voulu par le gouvernement, allant même jusqu’à la grève de la faim. Le tribunal de Montluçon sera maintenu. Depuis, le barreau a connu de nouvelles luttes et a toujours su se mobiliser, aussi bien dans l’intérêt de la profession que dans celui des justiciables montluçonnais.
Pour conclure, 200 ans d’histoire n’ont pas altéré l’ADN du Barreau de Montluçon : comme à ses premières heures, il s’engage à la fois pour les plus démunis et pour une justice de qualité.