Le chemin de fer à ficelle : l’œuvre de Stéphane Mony
Christophe Stéphane Mony fut d’abord connu sous le nom de Flachat jusqu’en 1835 (nom du second mari de sa mère).
Ce n’est sans doute pas par hasard que Paul Rambourg, qui envisage de résoudre ses problèmes de transport à l’aide d’un chemin de fer, lui confie la direction de la mine de Commentry en 1840. Stéphane Mony était à l’époque ingénieur en chef des chemins de fer des frères Pereire et avait déjà à son actif un certain nombre de réalisations en matière de voies de communication.
Avec son demi-frère Eugène Flachat, il avait participé en 1837 à la construction de la célèbre première ligne de voyageurs en France, de Paris à Saint Germain-en-Laye. Il va se mettre au travail et sera l’artisan de la construction du chemin de fer des houillères.
Le choix du tracé
Rappelons que le chemin de fer de Commentry à Montluçon a été projeté dans le but essentiel de mettre en communication les houillères de Commentry avec les usines de Montluçon et le canal de Berry.
Une des grandes difficultés de ce tracé réside dans la différence de niveau de 174 mètres entre la mine de Commentry et Montluçon.
Deux projets du tracé furent débattus âprement. Des calculs savants furent étayés pour défendre l’un ou l’autre, et c’est finalement celui de la rive gauche de la vallée de l’Amaron qui fut retenu.
De Commentry vers Montluçon, le trafic des wagons chargés se faisait dans le sens de la descente. Deux plans inclinés permettaient de franchir les dénivelés importants.
La concession fut accordée pour 99 ans le 16 février 1844 ; les travaux vont durer 30 mois à partir de mai 1844 et la ligne fut mise en service en novembre 1846.
Pour réaliser ce projet, il a fallu acquérir les terrains et apporter des matériaux. Par exemple, pour le bois des traverses, les frères Rambourg céderont la concession de la mine de la Vernade près de Saint-Éloy-les Mines à un marchand de bois.
Les plans inclinés
Le plan incliné constitue l’ancêtre des funiculaires modernes.
Le convoi est d’abord tracté sur la partie plate du circuit et parvient jusqu’au plan incliné.
Le trafic principal étant dans les sens de la descente vers Montluçon, une machine à vapeur actionnait un treuil relié à un wagonnet de traction auquel étaient accrochés les wagonnets « Marie » remplis du charbon à acheminer vers le bas du plan incliné.
Un câble situé au milieu de la voie se déplace sur des poulies fixées entre les rails, ce qui a généré le surnom de « Chemin de fer à ficelle »…
Le treuil retenait les wagons pleins dans la voie de descente et permettait à d’autres wagons, vides ou remplis avec des bois de mine, de remonter par l’autre voie parallèle à la première, utilisant le système de contrepoids.
Lorsque le convoi arrivait au pied de la rampe, les wagons étaient attelés à un nouveau cheval et poursuivaient leur chemin.
Un poste d’observation permettait au chef de manœuvre de diriger l’ensemble des opérations.
Les plans inclinés n’étaient pas sans inconvénients, les principaux étant la rupture du câble (fait de corde ou de fil de fer) et les frottements sur les poulies sources de résistance à l’avancement.
Le plan incliné de Marignon permettait de franchir un dénivelé de 135 mètres sur une longueur de 806 mètres avec une pente de 16,5 %.
Le plan incliné de Châteauvieux avait une longueur de 932 mètres et une pente de 12 %.
Le tracé
La voie chemine sur une distance d’environ 17 kilomètres entre Commentry et Montluçon.
À noter qu’au départ de Commentry, au fur et à mesure de l’extension du bassin minier, le réseau ferré va se ramifier pour permettre de raccorder chaque puits d’extraction à la voie principale.
Sur le premier tronçon entre la mine de Commentry et Marignon, le dénivelé est de 9 mètres ; sur les 16,75 kilomètres de la ligne mère, la voie coupe 14 routes par des passages à niveau, et sept stations sont prévues pour le croisement des convois.
À partir de Commentry, la voie traverse le bois des Forges. Puis au niveau de Montassiégé, elle emprunte un viaduc long de 156 mètres pour une hauteur de 24 mètres, qui permet de franchir la vallée de l’Amaron.
La voie continue sur le plateau en direction des Ferrières jusqu’à atteindre le plan incliné de Marignon.
Après le franchissement de la pente de Marignon, le convoi traverse la vallée du Diénat et l’Amaron par un viaduc de 252 mètres de long et 17 mètres de hauteur.
Lors d’un violent orage, le 2 juin 1855, l’une des piles du viaduc fut détruite et celui-ci s’écroula. Le viaduc fut alors remplacé par un talus constitué de tous les résidus de l’usine des Hauts-Fourneaux (mâchefers, laitiers, scories, etc…) qui avaient fini par constituer un volume très important sur un terrain situé à proximité du Diénat.
Le remblai était traversé par deux tunnels : l’un destiné au franchissement du ruisseau l’Amaron et l’autre permettant aux véhicules d’accéder à la vallée dans les gorges de Châtelard. La partie située au-delà de ce remblai devint tellement isolée quelle fut dénommée « Robinson », par allusion à l’île de Robinson Crusoé qui était éloignée de tout.
Ensuite la voie continuait sur le plateau jusqu’à la Croix-Blanche et le plan incliné de Châteauvieux pour rejoindre la rive droite du cher, au niveau de l’usine des Hauts-Fourneaux, à une altitude de 203 mètres.
Les deux voies parallèles franchissaient le Cher par un pont d’environ 80 mètres de long, nommé « Pont des Usines », construit sur palées et charpente en bois. Il fut emporté par une crue du Cher le 2 juin 1855 et remplacé par un pont de 24 mètres appelé le « Pont Noir ». Celui-ci était composé de trois travées métalliques, avec deux piles intermédiaires. Il a été détruit en 1970.
Après la traversée du Cher, la ligne se séparait en plusieurs embranchements.
Le premier se dirigeait vers le port du Canal de Berry et aboutissait à trois embarcadères ou « rivages » abrités par une toiture. C’est là que se faisait le déchargement des wagons dans les péniches à l’aide de goulottes. Ces trois embarcadères, mis en service en 1857, seront utilisés jusqu’en 1911.
En bout de ligne, à côté des embarcadères, six norias servaient à décharger le minerai de fer apporté par les péniches ; la grande roue, actionnée par une machine à vapeur, entraînait une chaîne à augets qui remontait le minerai et le déversait dans les wagonnets sur le quai. Cet équipement sera détruit en 1905.
Un autre embranchement aboutissait à une estacade placée le long du pont de Brevelle appelé plus tard Pont de la Verrerie.
À partir de 1846 jusqu’en 1860, date de raccordement de Commentry au réseau ferré de la ligne du P.O. Montluçon-Moulins, les wagons du chemin de fer des houillères étaient chargés avec du minerai de fer et d’autres matières nécessaires au fonctionnement des Hauts-Fourneaux de Commentry, ce qui permettait de ne pas faire de voyage à vide pour le retour des wagonnets.