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Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

Les églises peintes en Bourbonnais : les sources d’inspiration de l’art pictural au Moyen-Âge

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Saulcet : défilé des malades sur la tombe de saint Louis

Au Moyen-Âge, en Bourbonnais comme dans le reste de l’Occident, des peintures murales ornaient les édifices religieux. Celles qui restent portent un témoignage précieux sur leur temps. L’image peinte, tout comme la sculpture monumentale ou les grands ouvrages de tapisserie, en évoquant les grandes périodes de l’histoire sainte, en relatant les événements majeurs de l’époque, ou en décrivant des scènes de la vie quotidienne, exprime les sentiments des contemporains. La « Route des églises peintes », par ses représentations iconographiques, nous instruit sur l’organisation médiévale et sur l’évolution des techniques et des symboles.

Ces églises peintes représentent aujourd’hui, sur le département de l’Allier, 25 témoins de la vie et de l’art du XIe au XVesiècle dans le Bourbonnais et le centre de la France. Elles sont concentrées en partie dans le val de Sioule.

Église Saint-Léger d’Ébreuil, tribune : saint Austremoine, saint Clément, saint Benoît, les pères de l’Église et le martyr de saint Pancrace (XIIe)

La période des croisades inspire commanditaires et artistes

L’influence des événements et des personnages-clefs dans l’histoire et la géographie est primordiale pour l’interprétation et la compréhension des messages picturaux et architecturaux. L’épisode des croisades dépeint nettement les flux, enjeux et mécanismes territoriaux des XIe, XIIe et XIIIe siècles. La première de ces croisades, lancée en 1095 par le Pape Urbain II de Clermont, eut un impact sur notre province à cause de sa proximité géographique.

Entre 1147 et 1149, la deuxième croisade comporte surtout des échecs. Au début, le roi de France Louis VII et son épouse Aliénor d’Aquitaine partent combattre les païens d’Orient avec l’empereur Germanique Conrad III. Ce périple tumultueux ne va pas porter chance au couple qui va annuler son mariage en 1152. Deux mois plus tard, Aliénor s’unira à Henri II de Plantagenêt, roi d’Angleterre à partir de 1154, marquant le début des conflits entre les royaumes de France et d’Angleterre.

C’est dans ce contexte que la troisième croisade, en 1187, met en scène une personnalité phare, Philippe Auguste, 7e de la dynastie des Capétiens et surtout 1er roi de France – et non des Francs comme ses prédécesseurs – pendant 42 ans. Personnage majeur dans la guerre contre les Plantagenêt, il assura pourtant au côté Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, la victoire franco-anglaise à la Prise d’Acre en 1191.

Philippe Auguste s’illustre ensuite dans la bataille de Bouvines en 1214 et assoit ainsi le domaine royal par sa victoire. Plus localement, il intervint en 1188 par son vassal Guy de Dampierre pour chasser les Anglais de Montluçon.

Une autre figure emblématique, Louis IX dit Saint Louis, va clôturer l’aventure des Croisés. Son héroïsme, son endurance au malheur, sa mort aux portes de Tunis en 1270 au cours des expéditions désastreuses des 7e et 8e croisades lui valurent sa réputation puis sa canonisation en 1297.

Autre source d’inspiration : la guerre de Cent ans

Après les croisades, les XIVe et XVe siècles vont être marqués par la guerre de Cent ans (1337-1453) qui oppose à nouveau la France et l’Angleterre. Les évolutions territoriales et féodales majeures qui en résultent eurent une influence notoire sur l’architecture et les représentations iconographiques. C’est aussi la période où les Ducs de Bourbon sont étroitement liés au Royaume de France par leurs liens de parenté, leur loyauté et la position stratégique de leur territoire. En effet, Louis II de Bourbon dit « le Bon duc » se place en protecteur et fervent défenseur des intérêts des rois de France. Stratège, il organisa en Bourbonnais un véritable maillage défensif et une hiérarchisation des pouvoirs. Il ramena de sa captivité en Angleterre l’exemple des ordres chevaleresques et créa les Ordres de l’Écu d’Or et de l’Espérance. Le Duc Jean de Berry, frère du roi Charles V, fut un autre protagoniste local, grand protecteur des arts, bibliophile et bâtisseur. Il maria sa fille Marie de Berry avec le fils de notre Bon duc Louis, Jean Ier de Bourbon, et joua un rôle politique important, assurant avec ses deux frères et Louis II la gérance du royaume de France suite aux premières démences de leur neveu Charles VI : « le Gouvernement des Oncles ».

La fin du règne du roi fou n’est pas glorieuse… Après le succès anglais d’Azincourt en 1415, l’assassinat de Duc de Bourgogne Jean Sans Peur, il signe l’humiliant Traité de Troyes où il déshérite son fils et marie sa fille Catherine de Valois au roi d’Angleterre Henri V. La guerre est donc ravivée à sa mort en 1422. Son fils – surnommé le Roi de Bourges – soutient Jeanne d’Arc pour la libération d’Orléans, ce qui lui permet d’aller à Reims pour devenir Charles VII roi de France. Côté Bourbon, Charles Ier, engagé et présent au sacre du roi, fut l’un des principaux négociateurs du Traité d’Arras en 1435, scellant la paix entre le Roi et le duc de Bourgogne Philippe le Bon. Jean II fut le dernier Bourbon à participer à cette guerre séculaire et notamment à la bataille de Castillon qui y mit un terme. Ensuite, Louis XI malgré les conflits avec son père Charles VII, se positionna en fin stratège politique ; il étendit les frontières au sud-est, se rapprochant de la Maison de Savoie par son mariage avec Charlotte de Savoie et mena le royaume vers une France moderne.

Les Bourbons sont présents dans l’iconographie

La fin du Moyen Âge marque aussi l’apogée des terres des Bourbon. Pierre de Beaujeu, frère de Jean II de Bourbon, épousa la fille de Louis XI, Anne de France ; dès 1483, ils assurèrent ensemble la régence du royaume, Charles VIII étant trop jeune. Anne de Beaujeu, tout comme son père, maniait le pouvoir et les intérêts politiques avec brio. Grande protectrice des arts, elle participa activement au rayonnement de l’école bourbonnaise qui devint une véritable référence artistique.

Les grandes figures du monachisme

Du côté du pouvoir religieux, le monachisme connaît un développement inouï aux XIe et XIIe siècle. On constate alors une multiplication fulgurante des abbayes, monastères et prieurés bénédictins, allant de Saint-Géraud d’Aurillac à Souvigny, en passant par la Chaise-Dieu ou Ébreuil, relayés par les cisterciens de Bellaigue ou de Montpeyroux. Ils tissent des liens extra-provinciaux comme Souvigny et Aurillac avec la Bourgogne clunisienne. Parmi les acteurs historiques et religieux, les évêques apparaissent souvent en personnalités brillantes et toujours agissantes, aussi bien avec des armes spirituelles que guerrières. Notons les nombreuses peintures représentant l’apôtre saint Austremoine, premier évêque d’Auvergne.

Les seigneurs locaux et les bourgeois influents

Cependant l’histoire est aussi faite par des laïcs. Avant le XIIIe siècle, le seigneur joue un rôle plutôt local. Mais l’évolution du système féodal va lui donner accès à des responsabilités nationales. À côté d’eux, les bourgeois, marchands ou fabricants bénéficient du développement des villes et d’un certain progrès économique. Leur puissance repose souvent sur le commerce de l’argent auxquels ils sont initiés par les Lombards installés dans la région. Ces flux créent une mise en contact avec d’autres provinces et pays.

Les voyageurs et les pèlerins

D’ailleurs, le nomadisme est un phénomène de vie au Moyen Âge : le « petit peuple » voyage aussi, que ce soit à l’occasion des croisades, des déplacements de chantier en chantier, des périples d’apprentissage, ou encore des pèlerinages. Deux pérégrinations se démarquent : Saint-Jacques de Compostelle et Saint-Martin. La première met en exergue l’apôtre Jacques, frère de Saint-Jean l’évangéliste, prêchant la bonne parole chez les Celtibères avec peu de succès, mais de retour en Palestine, il convertit en masse. Condamné par le roi des Juifs Agrippa Ier, il meurt en martyr à Jérusalem vers 44 ap. JC. Sa dépouille est placée sur une barque par ses compagnons et dérivera jusqu’à Iria en Galice. Quant à Saint-Martin, fils de vétéran, il fut intégré de force dans l’armée au IVe siècle et sillonna toute l’Europe. Ses nombreux voyages sont référencés aujourd’hui par des circuits ou grandes itinérances nommés Via Sancti Martini. La fameuse représentation de la Charité de Saint Martin renvoie aux prémices de sa foi à Amiens, où il coupe son manteau en deux pour couvrir un mendiant qui meurt de froid ; le Christ lui apparaît en rêve la nuit suivante ; il est alors baptisé, quitte l’armée et poursuit de longs cheminements en tant que « soldat du Christ ». En 361, il fonde le premier monastère d’occident à Ligugé près de Poitiers. En 371, il devient évêque de Tours où il sera enterré en 397. Son tombeau devient aussitôt un des plus importants lieux de pèlerinage qui se développe et connaît son apogée du VIe au XIIIe siècle, supplanté ensuite par la pérégrination vers Saint-Jacques de Compostelle.

La mort, éternel sujet pour les artistes

L’iconographie puise donc largement parmi tous ces évènements majeurs, avec toutefois une présence quasi obsessionnelle de la mort, reflet d’une époque où les malheurs vécus s’accumulent. En effet, les guerres interminables, famines, épidémies comme la peste noire donnaient à chacun une conscience aigüe de la précarité de l’existence ; elle s’illustre par des œuvres décrivant le Jugement dernier, la Passion du Christ, la Mise au tombeau, la Vierge de pitié

Peintures murales

Les peintures murales sont aussi les fruits d’échanges et de transmission de savoir-faire. Au Moyen-Âge, on compte deux techniques essentielles : la « fresque » et la « détrempe ». La première est réalisée avec des couleurs sur un enduit de mortier frais dit « a fresco » d’où son nom. Remontant à l’antiquité, elle est très utilisée à l’époque romane : la peinture fait véritablement corps avec le mur par une série de réactions chimiques liant étroitement les pigments à l’enduit de chaux. Son exécution rapide passe par des phases délicates et complexes qui requièrent des artistes expérimentés. C’est pourquoi, à l’époque gothique, la technique de la détrempe va se développer. C’est un dérivé de la fresque, mais par contre l’enduit peut être remouillé au cours du travail, ce qui permet une plus grande liberté d’exécution et des retouches ou repentirs. L’inconvénient de ce procédé plus expéditif est que l’ouvrage devient sensible à l’humidité.

Des exemples dans nos églises peintes

Saulcet

Afin d’illustrer ces propos par l’exemple, partons au cœur du vignoble saint-pourcinois visiter l’église romane Saint-Julien à Saulcet. Entrons dans une des plus belles églises peintes du Bourbonnais tant par la variété de ses peintures murales que la qualité de ses ensembles et compositions. Notons d’abord les plus anciennes : dans le chœur une Crucifixion (XIIe siècle) présente quelques archaïsmes romans. Puis, sur la voûte du bas-côté sud, un Christ en gloire dans une mandorle en amande entouré des 4 évangélistes tétramorphes daterait de la fin du XIIe siècle. La chapelle de la Vierge (fin XIIIe) dans l’absidiole nord, présente l’Annonciation, la Nativité, la Vierge en gloire, et enfin, au sommet de la composition, le Couronnement de la Vierge. Au sommet de l’absidiole sud, la composition relate un évènement historique : le pèlerinage ou procession des malades vers la tombe de Louis IX. Le roi n’est pas nimbé, ce qui permet de situer précisément la réalisation entre sa mort en 1270 et sa canonisation en 1297. Poursuivons avec d’autres ensembles des XIVe et XVe siècles comme la Charité de Saint-Martin, le Christ et ses douze apôtres stylisés dans des médaillons d’un intrados du bas-côté sud. Arrêtons-nous sur ce jeune page en costume du XVe siècle tenant trois chevaux par la bride : une scène de vie quotidienne proche de la chapelle funéraire de la famille de Beauvoir, propriétaire des châteaux de Saulcet – aujourd’hui disparu – et de Montfand. Ensuite, un épisode lié au miracle de Saint-Jacques retient notre attention. C’est la légende populaire du « Pendu-dépendu ». Enfin, le « Dit des 3 morts et des 3 vifs » nous rattache à un temps où les malheurs mettaient les contemporains face à la précarité de la vie et amenaient artistes et commanditaires à aborder des thèmes plus sombres.

Louchy-Montfand

Le deuxième focus nous projette à quelques kilomètres, aux confins du diocèse de Clermont, à l’église Saint-Pourçain de Louchy-Montfand. Elle est nommée ainsi en souvenir de Porcianus, enfant du village, gardien de porcs à la fin du Vesiècle. Il fut affranchi après avoir soigné la cécité de son maître et devint abbé du monastère voisin. Il défendit l’Auvergne des ravages de Thierry avant de mourir vers 532. Les peintures murales sont essentiellement du XVe siècle. Attardons-nous devant l’Adoration des Rois Mages, avec la présence de la Sainte Famille, très travaillée. Dans la nef, la scène de « l’amende honorable » est sans doute une rare représentation iconographique d’une sanction pénale en usage au Moyen-Âge : devant l’église du lieu du délit, le pénitent, corde au cou, reconnaît publiquement sa faute, éteignant ainsi la nécessité de vengeance contre sa famille.

Fleuriel

La prochaine étape nous conduit à Fleuriel. D’une très belle facture romane, l’église Notre-Dame relevait au XIIe siècle du monastère d’Évaux puis de Tournus. Témoin de cette influence bourguignonne, son portail est considéré comme l’un des plus beaux du Bourbonnais. D’architecture remarquable, chapiteaux et modillons aux visages divers, rosaces, animaux fantastiques, croix de David nous renvoient aux symboles orientaux, reflets des tendances contemporaines de ce porche. De même, l’ensemble des chapiteaux sculptés et historiés de la nef nous apparaissent dans un état de conservation exceptionnel. On y voit des rinceaux, des dragons, des masques de Mésopotamie, ainsi qu’un singulier chapiteau historié de Saint-Jacques avec les références au « Pendu-dépendu » évoqué à Saulcet et à la conversion miraculeuse du magicien Hermogène. Tous ces motifs font de ces éléments architecturaux les messagers d’une période marquée par les reconquêtes ibériques et byzantines où le voyage religieux et son expression imprégnait l’existence de chacun. Quant aux peintures murales de la moitié du XVe siècle, elles sont malheureusement trop fragmentaires pour une analyse iconographique. Notons néanmoins une scène de funérailles, des anges-musiciens à l’intérieur de décors quadrilobés et une décollation évoquant le martyre de Sainte Valérie sur le mur diaphragme du bas-côté Nord. Enfin, « les travaux des mois » à proximité du chœur rappelle l’importance symbolique des tâches quotidiennes dans le rythme monastique des bénédictins.

Huriel

Concluons notre périple par un retour à l’ouest, dans nos contrées, plus précisément à Huriel en l’église Notre-Dame. Contemporaine de la Toque, cet édifice en granit de la fin du XIe et XIIe siècles situé au carrefour de trois régions nous offre un intéressant mélange de styles romans auvergnat, berrichon et limousin. Mises au jour en 2003, les images de la Charité de Saint-Martin (XIVe) et de l’Annonciation au pupitre (XVIIe) inscrivent le lieu dans la Route des églises peintes du Bourbonnais. Pour terminer, un objet historique des XII-XIIIe siècles mérite attention : c’est la grille en fer forgé, classée dès 1841, dont les petites volutes sont ingénieusement assemblées sans aucune soudure ni rivets !

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