La mort, éternel sujet pour les artistes
L’iconographie puise donc largement parmi tous ces évènements majeurs, avec toutefois une présence quasi obsessionnelle de la mort, reflet d’une époque où les malheurs vécus s’accumulent. En effet, les guerres interminables, famines, épidémies comme la peste noire donnaient à chacun une conscience aigüe de la précarité de l’existence ; elle s’illustre par des œuvres décrivant le Jugement dernier, la Passion du Christ, la Mise au tombeau, la Vierge de pitié…
Peintures murales
Les peintures murales sont aussi les fruits d’échanges et de transmission de savoir-faire. Au Moyen-Âge, on compte deux techniques essentielles : la « fresque » et la « détrempe ». La première est réalisée avec des couleurs sur un enduit de mortier frais dit « a fresco » d’où son nom. Remontant à l’antiquité, elle est très utilisée à l’époque romane : la peinture fait véritablement corps avec le mur par une série de réactions chimiques liant étroitement les pigments à l’enduit de chaux. Son exécution rapide passe par des phases délicates et complexes qui requièrent des artistes expérimentés. C’est pourquoi, à l’époque gothique, la technique de la détrempe va se développer. C’est un dérivé de la fresque, mais par contre l’enduit peut être remouillé au cours du travail, ce qui permet une plus grande liberté d’exécution et des retouches ou repentirs. L’inconvénient de ce procédé plus expéditif est que l’ouvrage devient sensible à l’humidité.
Des exemples dans nos églises peintes
Saulcet
Afin d’illustrer ces propos par l’exemple, partons au cœur du vignoble saint-pourcinois visiter l’église romane Saint-Julien à Saulcet. Entrons dans une des plus belles églises peintes du Bourbonnais tant par la variété de ses peintures murales que la qualité de ses ensembles et compositions. Notons d’abord les plus anciennes : dans le chœur une Crucifixion (XIIe siècle) présente quelques archaïsmes romans. Puis, sur la voûte du bas-côté sud, un Christ en gloire dans une mandorle en amande entouré des 4 évangélistes tétramorphes daterait de la fin du XIIe siècle. La chapelle de la Vierge (fin XIIIe) dans l’absidiole nord, présente l’Annonciation, la Nativité, la Vierge en gloire, et enfin, au sommet de la composition, le Couronnement de la Vierge. Au sommet de l’absidiole sud, la composition relate un évènement historique : le pèlerinage ou procession des malades vers la tombe de Louis IX. Le roi n’est pas nimbé, ce qui permet de situer précisément la réalisation entre sa mort en 1270 et sa canonisation en 1297. Poursuivons avec d’autres ensembles des XIVe et XVe siècles comme la Charité de Saint-Martin, le Christ et ses douze apôtres stylisés dans des médaillons d’un intrados du bas-côté sud. Arrêtons-nous sur ce jeune page en costume du XVe siècle tenant trois chevaux par la bride : une scène de vie quotidienne proche de la chapelle funéraire de la famille de Beauvoir, propriétaire des châteaux de Saulcet – aujourd’hui disparu – et de Montfand. Ensuite, un épisode lié au miracle de Saint-Jacques retient notre attention. C’est la légende populaire du « Pendu-dépendu ». Enfin, le « Dit des 3 morts et des 3 vifs » nous rattache à un temps où les malheurs mettaient les contemporains face à la précarité de la vie et amenaient artistes et commanditaires à aborder des thèmes plus sombres.
Louchy-Montfand
Le deuxième focus nous projette à quelques kilomètres, aux confins du diocèse de Clermont, à l’église Saint-Pourçain de Louchy-Montfand. Elle est nommée ainsi en souvenir de Porcianus, enfant du village, gardien de porcs à la fin du Vesiècle. Il fut affranchi après avoir soigné la cécité de son maître et devint abbé du monastère voisin. Il défendit l’Auvergne des ravages de Thierry avant de mourir vers 532. Les peintures murales sont essentiellement du XVe siècle. Attardons-nous devant l’Adoration des Rois Mages, avec la présence de la Sainte Famille, très travaillée. Dans la nef, la scène de « l’amende honorable » est sans doute une rare représentation iconographique d’une sanction pénale en usage au Moyen-Âge : devant l’église du lieu du délit, le pénitent, corde au cou, reconnaît publiquement sa faute, éteignant ainsi la nécessité de vengeance contre sa famille.
Fleuriel
La prochaine étape nous conduit à Fleuriel. D’une très belle facture romane, l’église Notre-Dame relevait au XIIe siècle du monastère d’Évaux puis de Tournus. Témoin de cette influence bourguignonne, son portail est considéré comme l’un des plus beaux du Bourbonnais. D’architecture remarquable, chapiteaux et modillons aux visages divers, rosaces, animaux fantastiques, croix de David nous renvoient aux symboles orientaux, reflets des tendances contemporaines de ce porche. De même, l’ensemble des chapiteaux sculptés et historiés de la nef nous apparaissent dans un état de conservation exceptionnel. On y voit des rinceaux, des dragons, des masques de Mésopotamie, ainsi qu’un singulier chapiteau historié de Saint-Jacques avec les références au « Pendu-dépendu » évoqué à Saulcet et à la conversion miraculeuse du magicien Hermogène. Tous ces motifs font de ces éléments architecturaux les messagers d’une période marquée par les reconquêtes ibériques et byzantines où le voyage religieux et son expression imprégnait l’existence de chacun. Quant aux peintures murales de la moitié du XVe siècle, elles sont malheureusement trop fragmentaires pour une analyse iconographique. Notons néanmoins une scène de funérailles, des anges-musiciens à l’intérieur de décors quadrilobés et une décollation évoquant le martyre de Sainte Valérie sur le mur diaphragme du bas-côté Nord. Enfin, « les travaux des mois » à proximité du chœur rappelle l’importance symbolique des tâches quotidiennes dans le rythme monastique des bénédictins.
Huriel
Concluons notre périple par un retour à l’ouest, dans nos contrées, plus précisément à Huriel en l’église Notre-Dame. Contemporaine de la Toque, cet édifice en granit de la fin du XIe et XIIe siècles situé au carrefour de trois régions nous offre un intéressant mélange de styles romans auvergnat, berrichon et limousin. Mises au jour en 2003, les images de la Charité de Saint-Martin (XIVe) et de l’Annonciation au pupitre (XVIIe) inscrivent le lieu dans la Route des églises peintes du Bourbonnais. Pour terminer, un objet historique des XII-XIIIe siècles mérite attention : c’est la grille en fer forgé, classée dès 1841, dont les petites volutes sont ingénieusement assemblées sans aucune soudure ni rivets !