Quand on évoque les années 1945-1975, on les résume souvent par l’expression «Les 30 Glorieuses ». Ce titre d’un livre de Jean Fourastié est depuis passé dans le langage courant. L’expression renvoie à l’idée d’une amélioration constante du niveau de vie, d’une croissance exceptionnelle de la production et de la consommation, de l’accès aux éléments de confort et aux loisirs de masse, le tout sur fond de plein emploi et de baby-boom. Si cette « révolution » n’est guère contestable, la réalité apparaît nettement plus nuancée, lorsqu’on l’applique au bassin montluçonnais : en effet, si les 30 Glorieuses y ont bien été une réalité, elles n’ont pas été qu’un « long fleuve tranquille ».
I – Un état des lieux de l’économie montluçonnaise en 1945
Que reste-t-il de l’héritage industriel du XIXe siècle ?
Lorsque la guerre s’achève, Montluçon compte près de 47 000 habitants, soit 5 000 de plus qu’en 1936. Le glorieux héritage industriel du XIXe siècle est déjà entamé : la verrerie Duchet a fermé ses portes au début des années 1920 et les Fours à chaux sont en voie de disparaître. Le chemin de fer à ficelle a cessé ses activités et le canal de Berry, jadis axe majeur, ne répond plus aux besoins en terme de gabarit. Son trafic ne dépasse pas les 50 000 tonnes à la fin des années 1940.
Il reste un vieux cœur industriel encore actif, avec des industries souvent centenaires. Elles sont installées de part et d’autre du Cher, avec un poids prépondérant pour la ville Gozet. Elles se déclinent en 3 grandes catégories : la métallurgie – sidérurgie avec Saint-Jacques (1848) et les Hauts-Fourneaux (1840) devenus la S.M.M.P. S’y ajoute, dans le quartier des Îles, l’usine des Fers Creux (1866). La chimie est représentée par Saint-Gobain (1846), et la mécanique par les Ateliers de la Ville-Gozet.
Le XXe siècle a vu l’installation de nouvelles activités avec l’usine Dunlop, dans les anciens locaux de la Pyrotechnie (1920), et la Sagem (1933-1934), à la Côte-Rouge. Dernière venue, Landis et Gyr (1939), usine en repli depuis le nord-est, s’est installée dans les locaux de l’ancienne usine Hurtu. Le tissu économique, c’est aussi de nombreuses petites et moyennes entreprises, notamment dans la mécanique, travaillant en sous-traitance.
Dans quel état sont ces entreprises en 1945 ?
Si la plupart des industries ont maintenu ou accru leurs productions entre 1939 et 1944, soit dans le cadre de l’effort de guerre, soit du fait des contraintes de l’armistice (1940-42) puis de l’occupation (1942-44), leur état est contrasté entre usine détruite, usine endommagée et usine intacte.
L’usine Dunlop est dévastée suite au bombardement par la RAF (16 septembre 1943) : douze bâtiments sont totalement détruits et plus d’une vingtaine gravement endommagés. Il en est de même pour les Cités. De septembre 1943 à l’été 1944, la production a été interrompue mais le personnel a pu être conservé pour les opérations de déblaiement. La Sagem fait figure de victime collatérale, avec des bombes qui ont touché le hall qui hébergeait la Sat depuis 1939. Les autres industries, notamment celles du vieux cœur industriel, n’ont subi aucun dégât et leur redémarrage pourra être immédiat.
Quelles sont les autres difficultés liées à la fin de la guerre ?
À la libération, le Comité départemental de Libération met en place des Comités de gestion, d’abord dans les entreprises de plus de 100 salariés puis dans celle de plus de 25 salariés. Ces comités, dont l’avis va devenir « consultatif », comptent un représentant ouvrier, un autre pour les cadres, et un gérant. Des chefs d’entreprises sont écartés, voire arrêtés, pour avoir dirigé les usines sous l’occupation (Jean Pétavy à Dunlop, André Alajouanine à la Sagem) ou pour avoir ouvertement collaboré (Alexandre Meiller aux Fers creux). Des cadres sont également touchés, comme à Saint-Jacques.
Dans une économie marquée par des pénuries, s’approvisionner en matières premières et en énergies s’avère compliqué, avec un réseau ferroviaire qui a subi d’importantes destructions. L’urgence c’est aussi de reconstituer la trésorerie des entreprises, d’assurer la paie des salaires, dans un moment d’inflation galopante. Se pose aussi la question du réemploi des prisonniers de guerre libérés. Enfin, après une période de guerre où le problème des débouchés ne se posait pas, le retour à la paix et à un marché concurrentiel va peu à peu rebattre les cartes.
II – Le temps de la reconstruction et du redémarrage (1945-1950)
À l’usine Dunlop, le redémarrage passe par la reconstruction et l’installation de machines, dont une partie provient de l’Angleterre. Contrairement à Michelin, on reconstruit ou on répare l’existant en y ajoutant de nouveaux ateliers, sans restructurer le site. Dès le 1er trimestre 1945, la production de pneus poids lourds redémarre et elle est quadruplée au 4e trimestre. La reprise s’étend à l’ensemble ateliers avec la gamme complète de pneus (poids-lourds et autos jusqu’aux vélos). D’autres ateliers confectionnent balles de tennis, bottes et matelas. L’emploi suit : 2 086 salariés (dont plus d’un quart de femmes) en décembre 1944, 3 900 un an plus tard. La barre des 5 000 est franchie en décembre 1946. Le système de ramassage par autobus permet de drainer un personnel jeune venu de la périphérie proche ou plus lointaine. Au début des années 1950, pour l’usine entièrement reconstruite, c’est le début d’un « âge d’or ».
À la Sagem, le redémarrage s’avère plus compliqué. Après la remise en état du hall de la Sat dévasté, l’entreprise peine à redémarrer : les commandes de la Marine tardent à revenir et malgré les efforts pour développer des productions civiles (machines à chaussures et machines-outils, appareils de métrologie…), les difficultés s’accroissent, face à la concurrence : si la qualité des machines produites est reconnue, leur coût de fabrication les rend moins compétitives. En 1949, la Sagem au bord du gouffre doit réduire ses effectifs en supprimant 5 à 600 emplois sur 3 000. Des décisions qui provoquent un conflit social dur, sur fond de concurrence entre la CGT et le nouveau syndicat FO.
Dès l’été 1944, Saint-Jacques et la SMMP poursuivent leurs productions et bénéficient de « l‘appel d’air » provoqué par les besoins importants induits par la reconstruction. À Saint-Jacques, la production d’acier triple entre 1940 et 1946 et l’usine compte encore 2 000 salariés en 1950. Pourtant, il existe des éléments inquiétants : l’éloignement des zones d’approvisionnement (matières premières, énergie), ainsi que le vieillissement de l’outil de production. Dès la fin de la reconstruction, avec le retour de la concurrence, l’usine s’adapte en supprimant 250 emplois en 1949.
Maintien, création et disparition d’entreprises :
L’avenir de Landis et Gyr à Montluçon est assuré avec l’annonce de son installation définitive. Dès 1945, l’usine a quadruplé ses effectifs et ses productions : forte de 218 salariés, elle produit 200 000 compteurs électriques et 50 000 disjoncteurs, portée par la reconstruction et l’achèvement de l’électrification du pays. EDF en absorbe l’essentiel.
L’année 1947 voit la création de la Chemiserie Rousseau, dans le quartier des Marais, avec à la clef des effectifs qui vont osciller entre 200 et 500 emplois, essentiellement féminins. C’est le début d’une véritable industrie textile dans le bassin montluçonnais.
À l’inverse, avec les Fers creux, 1948 voit se produire la fermeture d’une usine issue de la première génération. 250 emplois disparaissent.
Un contexte social qui reste tendu :
Après les efforts acceptés par les salariés dans le cadre de la reconstruction, la fin des années 40 voit l’éclatement de conflits sociaux durs et longs, avec des grèves perlées comme à Dunlop, provoquant une baisse de production de 40 %. Elles touchent aussi Saint-Jacques, la SMMP, Pinguély et la Sagem. Les revendications portent sur les licenciements et sur les salaires. Malheureusement, les augmentations consenties sont rapidement annulées par une inflation galopante, entre 1945 et 1948. À la fin des années 1940, on est encore loin de l’image traditionnelle et positive des Trente Glorieuses !
III – Les années 1950-1960, entre déclin des industries anciennes et croissance forte pour les autres
Un déclin accéléré de la grosse métallurgie :
La fin de la reconstruction signifie le retour à une vraie concurrence qui révèle les faiblesses de Saint-Jacques et de la SMMP. Dès 1950, le gouvernement parle de « pléthore de grosses forges » et de « perspectives assez sombres ». En 10 ans, par vagues successives, Saint-Jacques va réduire de moitié ses effectifs, tout en se spécialisant dans la grosse forge. Les ateliers de la Ville-Gozet s’orientent vers le matériel de T.P. et mines. En 1957-1958, le « plan milliard » lancé par l’État permet le remplacement des anciens fours Martin par un four électrique pour aciers spéciaux. L’entreprise est en « survie artificielle », ce que ni les élus, ni les syndicats ne veulent voir, la disparition de la métallurgie apparaissant inimaginable. La réalisation de pièces d’exception, comme pour le paquebot France, fait illusion. À la SMMP, la situation est encore plus préoccupante : le dernier haut-fourneau est éteint en 1959 et dans l’usine qui s’oriente vers la fusion de ferraille, il ne reste plus que 4 à 500 salariés.
Des industries en essor :
À Dunlop, la production est stimulée par l’essor de l’automobile. Recentrée sur la production de toute la gamme de pneus et de balles de tennis, l’usine atteint son apogée à la fin des années 1950, avec plus de 5 000 salariés, auxquels il faut ajouter les centaines d’emplois de la sous-traitance. Lorsque le général De Gaulle visite l’usine, en avril 1959, dans un climat tendu, son PDG peut annoncer que l’usine couvre à elle seule le quart des besoins français en pneus de toutes dimensions. L’entreprise connaît toutefois quelques problèmes : par exemple le vieillissement d’une partie de son outillage, ou encore le non-investissement dans le pneu radial alors que Michelin en a fait une priorité. L’ouverture d’une usine moderne à Amiens en 1959 fait aussi craindre un possible transfert d’une partie de la production.
La chimie, c’est aussi Saint-Gobain qui depuis 1947 produit des compounds, à la base de la fabrication d’objets en plastique et de plaque de PVC. Du côté des PME, les Cires Françaises (Diamantine) ont su renouveler leurs gammes de produits.
Le retour des commandes de l’État et la montée en puissance de nouvelles gammes de produits permet à la Sagem de renouer avec la croissance. Outre les télécommunications, la production de matériels miniers est un important vecteur de développement : le montage des haveuses occupe un hall entier. Dans une usine ou le personnel féminin est de plus en plus important (les ateliers de bobinage), les effectifs atteignent 2 500 salariés, avec chaque année le recrutement d’une trentaine d’apprentis formés à l’usine et par l’enseignement technique. Autre activité : la fonderie de Saint-Jean, acquise dès 1941.
Dotée de nouveaux locaux, Landis et Gyr poursuit son essor et, au plan national, sa production de compteurs représente 30 % et celle des disjoncteurs plus de 50 %. À la fin des années 1950, 1 400 salariés travaillent sur le site de l’avenue Jules-Guesde où a été installé le siège social.
D’autres entreprises se révèlent porteuses d’emplois. C’est le cas de l’usine Le Réservoir qui depuis 1930 produit des réservoirs de freinage pour la SNCF et Westinghouse. Rousseau Noveltex (chemises, pyjamas), malgré la faiblesse de ses salaires, emploie jusqu’à 500 salariés, dont les trois quarts sont des femmes sans qualification. Zélant, passé de la maintenance et la fabrication de machines pour Dunlop, devient Zélant-Gazuit après l’arrivée à sa tête d’un brillant ingénieur, Georges Gazuit. Enfin, hors industrie, il existe de nombreux autres gisements d’emplois : la SNCF (Gare, ateliers de la Loue, centre administratif), le BTP qui profite de la vague de construction de logements, ou encore le petit commerce au réseau très dense.
D’autres éléments de l’essor montluçonnais
Pour ces industries, la formation est capitale, l’apprentissage ne pouvant répondre à tous les besoins. C’est ce qui conduit à la concrétisation du projet initié par Marx Dormoy avant-guerre : réunir sur un même site l’ensemble des enseignements techniques et professionnels, en offrant un large éventail de formations, tout en les adaptant aux besoins de l’économie. En juin 1956, est inaugurée l’École nationale de l’enseignement technique (ENET) au terme des 6 ans de travaux. 12 ans plus tard, ce sera l’Institut universitaire de technologie qui ouvrira ses deux premiers départements (génie mécanique et électrique).
Du côté des infrastructures de transports, la décennie 1950 marque la fin du canal de Berry : après déclassement, il est officiellement fermé en 1955, prélude à sa disparition physique par comblement dans la décennie suivante. Montluçon reste un nœud ferroviaire important et le rail joue un rôle essentiel dans le trafic marchandise. Quant à la route, si Montluçon fait bien figure de nœud routier, l’essor de l’automobile et du trafic poids-lourds va très vite révéler les retards et insuffisances du réseau.
Conséquence du baby-boom et de l’essor de certaines industries qui attirent de nouveaux habitants, la population dépasse les 55 000 habitants au début des années 1960, soit 6 500 de plus qu’en 1954. Cette croissance nécessite des efforts sans précédents, d’abord dans le domaine du logement pour lequel, dès le début des années 1950, le choix a été fait de privilégier l’habitat collectif. Entre l’ensemble Droits de l’Homme-Baulieu (1950-56), Rue Neuve (1957) et Pierre-Leroux (1960), plus de 600 logements sont construits. À la fin des années 1950, les élus font le choix des grands ensembles, avec Fontbouillant (plus de 1 200 logements). Un choix qui se confirmera dans la décennie suivante avec Bien-Assis où une première étape prévoit plus de 900 logements. En même temps, on commence à se préoccuper des îlots insalubres du secteur Ville-Gozet–Verrerie.
L’autre urgence concerne les écoles, de la maternelle au lycée. Entre 1945 et 1965, les effectifs des maternelles, des écoles primaires et collèges ont triplé. Face à cet afflux, le nombre d’écoles et de collèges augmente et chaque année, à la rentrée, le journal Centre-Matin égrène la liste des inaugurations. La multiplication de ces chantiers a aussi un effet stimulant pour le secteur du bâtiment et des travaux publics en forte croissance.
IV – Les années 1960/65 – 1980 : entre deuil des industries anciennes et croissance contrastée pour les autres
À l’aube des années 1960, Montluçon croit encore en son industrie, même si l’avenir de la métallurgie est sombre : entre les restructurations de Saint-Jacques et de la SMMP, jointe à la fermeture des Fers creux, plus de 2000 emplois ont disparu. Pourtant « on ne voulait pas croire que la sidérurgie à Montluçon était condamnée. L’arrêt de l’extraction charbonnière à Commentry, la cessation d’activité du canal de Berry (…) avaient sonné le glas de la sidérurgie montluçonnaise », écrit André Touret. Le chômage est toutefois resté contenu grâce à une certaine « plasticité de la main d’œuvre », et à un tissu industriel qui reste dense entre PME et grandes entreprises. La croissance démographique se poursuivant, il n’y aurait donc pas lieu de s’inquiéter.
Le deuil des industries anciennes :
Entre la concurrence européenne dans le cadre de la CECA puis du marché commun, le vieillissement des équipements, les coûts de productions et de transports trop élevés, Saint-Jacques et la SMMP sont condamnées. En janvier 1964, Saint-Jacques annonce la suppression de 900 emplois, prélude à une fermeture programmée pour la fin de 1964. Ni les tentatives de résistances des élus et des syndicats, ni la mobilisation de la population dans de grandes manifestations unitaires en juin 1964 n’y feront quelque chose. La forge ferme en décembre 1964 et seule l’aciérie électrique est maintenue. Elle fermera en 1972. De Saint-Jacques il ne subsistera qu’une fonderie d’acier, sur un espace réduit, fermée en 1980. La SMMP suit le même chemin. Avec ces fermetures se pose un nouveau problème : celui des friches industrielles. On commence par raser ateliers et cheminées, et par conséquent, à la disparition économique s’ajoute la disparition physique de ce qui avait fait la prospérité de Montluçon.
Seuls survivants, les ateliers de la Ville-Gozet, devenus Pinguély, sont repris par l’Américain Joy (1962) qui développe la production de matériels pour les mines, les carrières et travaux publics. Si l’entreprise est en pointe pour les technologies, son éloignement des zones d’extraction est un handicap. Entre 1963 et 1967, plus de 200 emplois sont supprimés, prélude à une fermeture définitive en 1978.
Des évolutions contrastées, entre premières inquiétudes et espoirs :
Les années 1960-70 sont marquées par une évolution contrastée, notamment à l’usine Dunlop où les craintes liées à l’ouverture d’Amiens sont toujours fortes. Dès 1962, la direction supprime 350 emplois tandis qu’en 1964 les effectifs repartent à la hausse avec une vague d’embauches. L’usine Saint-Gobain, d’abord intégrée au géant Péchiney, passe ensuite sous le contrôle de Rhône-Poulenc pour devenir la société d’emballage plastique (SEP). Les centres de décision s’éloignent et la SEP évolue vers la mono-industrie de matières plastiques. Textile et confection oscillent entre nouvelles installations et premières fermetures (Mavest dès 1968 et Hermel-Cofal en 1975). Quant à la chemiserie Rousseau désormais adossée au groupe textile Boussac, elle atteint un pic de 500 emplois au milieu des années 1970.
Élus et syndicats s’inquiètent devant l’accélération des suppressions d’emplois : 1572 entre 1959 et 1966 mais 632 pour la seule année 1967. Même si les mises à la retraite permettent de les « amortir », la possibilité de « rebondir » pour les plus jeunes devient plus compliquée. Entre 1950 et 1967, l’industrie aura perdu 3 200 emplois alors qu’elle n’en aura créé que 1 200.
Pour les élus, il est donc vital d’attirer de nouvelles entreprises. C’est ce qui a conduit dès 1960 à aménager la zone industrielle de Blanzat sur un espace loti de 40 ha. La recette fonctionne puisque, avec 21 entreprises en 1970, elle affiche complet. Une réussite, mais en trompe l’œil, puisque dans la plupart des cas, il ne s’agit que de transferts d’entreprises locales. Seules 4 sont venues de l’extérieur. Fort de ce succès, Montluçon et sa voisine Domérat créent en 1973 un syndicat intercommunal pour aménager une nouvelle zone industrielle sur une centaine d‘hectares, à Châteaugay, le long du futur tracé de l’Axe Centre Europe Atlantique.
La bonne tenue des industries de haute technologie :
Dans les années 1965-1975, Landis et Gyr et la Sagem atteignent leur apogée en termes d’emplois. Landis et Gyr a entrepris la diversification de ses productions et de sa clientèle. Compteurs et disjoncteurs restent les productions principales, mais de nouveaux produits ont été développés (régulation, télécommande, téléphonie, systèmes de protection et de distribution…). L’emploi suit avec plus de 2 000 salariés.
À la Côte-Rouge, la diversification des productions s’est aussi opérée : fraiseuses, appareils de métrologie, équipements frigorifiques sortent toujours de l’usine, de même que le matériel minier, avec les haveuses qui s’exportent dans le monde entier ou encore les composant pour télécommunications. De nouvelles productions, telles que plates-formes gyroscopiques ou inertielles, gyromètres et accéléromètres, annoncent une évolution ; l’essor conduit à des réaménagements d’atelier (la téléphonie) et à la construction de nouveaux ateliers, avec l’arrivée de l’optronique. Au milieu des années 1970, la Sagem emploie 2 500 emplois.
Un tissu de PME qui reste dense :
Aux activités présentes depuis longtemps comme l’ameublement (Ducreuzet) ou depuis très longtemps (Diamantine), s’ajoutent des créations dans les technologies de pointe. C’est le cas de l’éphémère société d’électricité industrielle et d’électronique Chagnon qui travaille pour la défense nationale et pour la télévision couleur. Le Réservoir et Zélant Gazuit connaissent aussi de « belles années ». Autre signal positif, l’arrivée prometteuse de deux nouvelles entreprises : Les Forges de Courcelles (futur Amis), spécialisées dans l’extrusion et le filage à froid, s’installent à Blanzat. Entre 1970 et 1975, les effectifs vont plus que doubler pour atteindre 175 salariés. Quant à la fonderie d’aluminium Bréa, installée dans les dépendances de la société Joy, elle passe de 80 emplois en 1969 à 120 en 1971.
Le petit commerce à la veille des grandes mutations :
Entre 1945 et 1970, Montluçon a conservé la plupart de ses petits commerces, présents sur les deux axes République et Courtais, mais aussi dans les différents quartiers. En 1969, l’annuaire du commerce recense 80 boucheries, 74 boulangeries, 30 merceries, 25 librairies-papeteries ou encore 200 commerces d’épicerie primeurs. Pourtant, l’installation en 1969 du tout premier hypermarché (Mammouth) à la proche périphérie va bouleverser la donne. Entre 1970 et 1975 surviennent les premières fermetures dont le rythme va s’accélérer durant la décennie suivante, entre les effets de la crise, le reflux démographique et la multiplication de nouvelles grandes surfaces, généralistes ou spécialisées.
Au milieu des années 1970, le premier choc pétrolier est souvent perçu comme purement conjoncturel. Le deuil des industries anciennes est fait et on est loin d’imaginer que l’avenir d’entreprises comme Dunlop, la Sagem ou Landis et Gyr puisse s’assombrir. Certes, la croissance démographique s’est enrayée : après le pic de 59 000 habitants en 1968, la ville en aura perdu 1 400 en 1975. La fin du baby-boom et la périurbanisation n’y sont pas pour rien. C’est ce qui explique que les élus gardent une vision optimiste de l’avenir : dans le Bulletin municipal, en juin 1976, on évoque l’horizon 1990 avec 67 000 habitants intra-muros et 100 000 pour l’agglomération… Des chiffres que les deux chocs pétroliers et la crise des années 1980 vont douloureusement remettre en cause. Après le temps de l’essor, le temps de la crise…