Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

L’évolution urbaine de Montluçon (1830-2020)

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Vue de Montluçon en 1830. Achille Allier : L’ancien Bourbonnais.

À partir de 1840 et durant plus de 150 ans, la ville de Montluçon a connu une évolution urbaine aussi caractéristique que spectaculaire, engendrée par son industrialisation, puis par sa désindustrialisation. Quatre périodes permettent d’en décrire le processus et les principales caractéristiques.

Première période

La première période relève d’un état des lieux : Montluçon, en 1830, est une petite ville de 5 000 habitants qui ne s’est guère étendue au-delà de son périmètre médiéval que par quelques faubourgs. Encore concentrée sur la rive droite du Cher, elle est décrite par les voyageurs de cette époque comme une cité au milieu des champs, ayant conservé l’essentiel de son allure médiévale. C’est ainsi que la décrit Achille Allier en 1832 : « d’un côté on avait une vue champêtre avec des près, des jardins, des aubéries, et de l’autre, une vue moyenâgeuse avec des tours, des restes de murs d’enceinte, des maisons aux pignons aigus au-dessus desquels s’élevait la masse puissante et pittoresque du vieux château ».

Seconde période

La seconde période est celle de la métamorphose urbaine de Montluçon par son industrialisation. Cette période, qui s’étend de 1840 à 1920, vaut alors à Montluçon d’être souvent qualifiée de « Manchester français » en raison de l’ampleur et de la rapidité de ses bouleversements urbains qui l’amènent à compter 35 000 habitants en 1901. Cette période est caractérisée par deux phénomènes majeurs.

Le premier est l’implantation de la Verrerie en 1840, des fours à chaux et de l’usine des hauts-fourneaux en 1842, de l’usine Saint Jacques en 1845, de la Glacerie en 1846. Puis en 1856 arrive l’usine à gaz, en 1866 c’est l’usine des fers creux, et en 1873 celle des produits chimiques, etc. Ces vastes usines donnent naissance à un paysage industriel novateur dont les deux principales composantes sont le Canal de Berry et une forêt de cheminées qui, durant des siècles, constitueront l’identité urbaine de Montluçon. En 1861 George Sand décrit ainsi ce paysage industriel : « Au sortir de cette gorge, on domine tout le bassin très vaste et très beau de Montluçon, le cours du Cher qui le traverse et le canal très beau couvert de bateaux, planté de beaux arbres. Très belle vue hérissée des cheminées monumentales des usines, qui ne font pas de vilains repoussoirs ».

Le second phénomène, induit par l’industrialisation, est la naissance de deux villes nouvelles : la première est la Ville-Gozet, sur la rive gauche du Cher ; elle s’établie à l’ouest du Canal de Berry et de part et d’autre de l’avenue de la République. Ville industrielle et ouvrière, tout l’opposera longtemps à sa voisine de la rive droite.

Une deuxième « ville nouvelle » passe généralement inaperçue parce qu’elle s’édifie principalement sur le pourtour ouest du « Vieux Montluçon ». Elle semble donc en être une extension. Il n’en est pourtant rien, pas plus d’un point de vue urbain qu’architectural, sociologique, logistique, etc. De sorte que cette ville nouvelle qui doit tout à l’industrie peut être qualifiée de « nouveau Montluçon » par opposition au « Vieux Montluçon » qui l’a précédé sur la rive droite du Cher. Elle est bourgeoise, administrative et commerçante. Elle a sa gare, son tribunal, ses écoles, son lycée, son temple protestant, son boulevard et sa majestueuse avenue bordée d’immeubles de styles néo-classiques et néo-gothiques, dont l’architecture démonstrative témoigne bien de la prospérité induite par l’activité industrielle de la ville.

Troisième période

La troisième période est celle de l’apogée urbain de Montluçon qui atteint 58 000 habitants en 1968. En effet, de 1920 à 1970, la ville connaît une expansion continue due à l’implantation des nouvelles usines : Dunlop, la Sagem/Sat, Landis et Gyr, Joy/Pinguély, Zéland-Gazuit, Rousseau, etc.

De nouveaux quartiers se créent sans cesse dont la caractéristique principale est d’être composés d’un habitat mixte : l’habitat individuel pavillonnaire et l’habitat collectif qui, face à la crise du logement de l’après-guerre, culminera avec la construction de grands ensembles d’habitation : Pierre Leroux, Bien-Assis, Fontbouillant, mais aussi la rénovation de la Ville-Gozet qui s’édifie en lieu et place du vieux quartier de Brevelle, et apparaît comme un « modèle réduit » des villes nouvelles de la région parisienne de cette époque : barres, tours, dalles, commerce etc.

Enfin, les axes de circulation subissent eux aussi de profonds changements permettant à la ville de s’adapter non seulement à la voiture, mais aussi à son extension géographique et à une population croissant sans cesse. L’avenue Jean Nègre, tout comme le boulevard Allende, en sont les meilleurs exemples ainsi que la multiplication des ponts durant le XXe siècle.

Quatrième période

La quatrième période s’étend de 1970 à nos jours et peut être qualifiée de « post industrielle ». En effet, à la fermeture progressive des usines métallurgiques historiques succèdent d’important plans sociaux qui touchent les usines Sagem, Landis et Gyr et surtout Dunlop. Ils marquent la fin de la « grande industrie » et mettent un terme à l’extension urbaine de Montluçon.

Le comblement du Canal, élément majeur du paysage urbain Montluçonnais, inaugure un cycle de destructions massives qui, en moins de 40 ans, amène à la disparition totale du « paysage industriel » de la rive gauche du Cher, privant tout à la fois Montluçon de son identité urbaine et de ce qui apparaît aujourd’hui comme relevant du patrimoine. Tandis que les supermarchés, centres commerciaux et parkings s’installent en lieu en place des usines (Saint-Jacques, les Fers Creux, Landis et Gyr), des opérations de renouvellement urbain « déconstruisent » tout ou partie des grands ensembles d’habitation, témoignant du déclin démographique et urbain d’une ville qui, 40 ans auparavant, se préparait pourtant à atteindre 100 000 habitants en l’an 2000 !…

« La forme d’une ville change, on le sait, plus vite que le cœur d’un mortel », écrivait Julien Gracq en empruntant à Charles Baudelaire ; il n’empêche que l’ère « post industrielle » montluçonnaise interroge et pose collectivement question, parce qu’en matière d’urbanisme, rien n’est anodin et tout fait sens.

Le comblement du canal de Berry à Montluçon (Ph. R. Parant, col. Musée de Montluçon)

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