Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

les visites des chefs d’État à Montluçon, de Napoléon III (1864) à François Mitterand (1984)

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Activité associée

Arc de triomphe érigé sur l'avenue menant à la gare

En 120 ans, entre 1864 et 1984, Montluçon n’a vu passer que 4 chefs de l’État en visites officielles : Napoléon III (1864), le maréchal Pétain (1941), le général de Gaulle (1959) et François Mitterrand (1984). À part Napoléon III, venu à la demande de la municipalité, toutes les autres visites s’inscrivent dans le cadre de voyages officiels en province dont certains sur plusieurs jours.

Ces visites sont toujours très courtes, la plus brève étant celle du général de Gaulle (à peine 1 h 15). On cherche toujours à y associer la population, avec décoration et pavoisement de la ville, en appelant la foule à venir acclamer le visiteur, tout en donnant une image positive de la cité.

Napoléon III (dimanche 7 août 1864)

 Napoléon III empereur des Français règne depuis 1852. L’empire, qui s’est « libéralisé», est à son apogée économique. Montluçon est en plein essor industriel, avec la croissance de sa population et la forte extension du quartier ouvrier et industriel de la Ville-Gozet.

Napoléon III faisant chaque année depuis 1861 un séjour à Vichy, trois demandes ont été présentées entre 1861 et 1863 par la municipalité montluçonnaise dirigée par Alexandre Duchet, maître verrier, pour qu’il vienne à Montluçon. Ce n’est qu’en juin 1864 qu’est transmise une réponse positive.

La visite doit permettre de montrer l’essor de Montluçon « devenu en peu d’années un des centres industriels les plus actifs et les plus importants de la France. De grandes et nombreuses usines y existent déjà et il s’en établit chaque année de nouvelles ». En même temps, la population ouvrière pourra montrer son attachement à l’empire. Enfin, la nouvelle gare et l’avenue qui y conduit pourront être inaugurées.

Le conseil municipal réuni le 14 juillet 1864 étudie les mesures à prendre pour recevoir « l’auguste visiteur», dont la construction de plusieurs arcs de triomphe sur le trajet impérial, dans des délais très brefs, la venue de l’empereur étant finalement fixée au 7 août.

De nombreuses précautions sont prises, d’abord avec le passage d’un wagon gabarit. Des consignes strictes de sécurité sont édictées par le commissaire central pour sécuriser le parcours entre la gare, l’hôtel de ville et les usines que l’empereur doit visiter.

Parti de Vichy à 8 h 30, le train impérial entre en gare de Montluçon vers 11 h 10. La foule s’est massée depuis le début de la matinée le long du parcours avec force drapeaux, bannières et banderoles. Napoléon III est accueilli par le maire Alexandre Duchet : « Notre prospérité a une origine toute napoléonienne : le canal de Berry décrété à la fin de 1807 est le véritable créateur de notre industrie ». Après une brève réponse de Napoléon III, le cortège impérial parcourt l’avenue entre la gare et les boulevards. Selon le Courrier de l’Allier, « Dès que sa majesté a paru, ce fut une véritable explosion de cris de “Vive l’Empereur”, sortis de 10 000 poitrines »…

Entre la gare et l’hôtel de ville, le cortège passe sous 4 arcs de triomphe, le 1er étant situé à l’extrémité de la future avenue Napoléon III. Le 2e, « à trois portiques », enjambe le boulevard Bretonnie, suivi d’un 3e élevé par les ouvriers de la Société de secours mutuel, « à trois portiques, décoré de fleurs, de guirlandes, de drapeaux ». Enfin, un 4e arc a été installé entre les deux ailes de l’ancien hôtel de ville : « Tous ces ouvrages ont pu donner à l’empereur la mesure du dévouement qu’il peut attendre des Montluçonnais».

L’empereur est accueilli par le maire, Alexandre Duchet. Discours officiels, présentation des corps constitués, remise de décorations de la légion d’honneur constituent l’essentiel de la cérémonie.

Le cortège prend ensuite le chemin des usines en descendant les boulevards et en passant sous un 5e arc bâti à l’entrée du faubourg Saint-Pierre, reproduisant la porte détruite en 1847. Il bifurque en direction de l’usine des Hauts Fourneaux dirigée par M. Forey, où il est reçu par M. Mony, gérant de la société, qui lui présente différentes productions. Après une nouvelle remise de décorations à Louis Rambourg et à Stéphane Mony, Napoléon III pénètre dans le nouveau quartier de la Ville-Gozet en passant sous un 6e arc de triomphe dont « les 4 colonnes formées avec des rails n’avaient pas moins de 12 m de hauteur ». Il porte l’inscription « À Napoléon III, les usines de Montluçon ». Dans la perspective de la route de Tours, on aperçoit un obélisque de 7 m de haut.

En Ville-Gozet, Napoléon III visite trois grandes usines : D’abord la verrerie, où il est reçu par Alexandre Duchet, et où on a réalisé un arc de triomphe en bouteilles. Ensuite il se rend à la glacerie, « Autrefois industrie de luxe, devenue manufacture de première nécessité», où il assiste à une coulée de glace. Enfin, il arrive à l’usine Saint-Jacques, reçu par M. Darcy, président du conseil d’administration. «Trois mille voix au moins poussaient des cris de Vive l’empereur » selon le Courrier de l’Allier, qui ajoute : « Que sont devenues ces craintes d’indifférence ? Le souffle de l’empereur a passé par là, il ne reste plus que des citoyens qui l’aiment».

Après une ultime remise de médailles, Napoléon III repart. Mais, au lieu de reprendre le train directement dans l’enceinte de l’usine, il reprend la direction de la gare en calèche, pour pouvoir répondre aux acclamations de la foule. Le train impérial quitte Montluçon à 13 h 15 pour regagner Paris par la ligne de Bourges. La foule s’est massée entre le pont des Nicauds et la gare d’eau pour d’ultimes acclamations. Des festivités prolongent l’événement avec les illuminations de la gare, de l’avenue baptisée désormais Napoléon III, de l’hôtel de ville et du pont Saint-Pierre, couronnées par un grand feu d’artifice.

Le Maréchal Pétain, chef de l’État Français (jeudi 1er mai 1941)

Nanti des pleins pouvoirs depuis le 10 juillet 1940, le maréchal Pétain a mis fin à la troisième République, supprimant de nombreuses libertés, tout en engageant la France sur la voie de la collaboration. En novembre 1940, les syndicats ont été dissous. Une charte du travail basée sur « l’entente» entre patrons et ouvriers doit mettre fin à la lutte des classes. La loi Belin fait désormais du 1er mai « la fête du travail et de la concorde sociale». Des mesures qu’il faut expliquer aux populations concernées.

Le choix se porte sur Montluçon et Commentry, deux fiefs socialistes avec une forte tradition syndicale revendicative. Trois parlementaires du bassin montluçonnais ont aussi voté contre les pleins pouvoirs et la répression syndicale et politique y a été forte à l’automne 1940.

La nouvelle municipalité nommée fin avril 1941, dirigée par Raoul Méchain, va avoir à gérer la visite. Elle en appelle à la population (« Pas de récriminations. Nous n’en avons pas le droit. Servons notre pays chacun à notre place. Hauts les cœurs ! »), relayée par le journal le Centre qui publie un « Hymne au maréchal ». Enfants des écoles et Légionnaires sont mobilisés pour accueillir le maréchal Pétain dans une ville pavoisée et décorée (avec la francisque, les portraits du maréchal, la devise Travail, famille, patrie...). Une pyramide de verre de 6 m de haut a été érigée place Saint-Paul et un portique monumental se dresse à hauteur du passage à niveau de la Ville-Gozet, avec la formule « Vive Pétain» ! Un portrait géant du maréchal Pétain a été peint sur le pignon d’un immeuble du faubourg Saint-Pierre. Un soin particulier a été apporté à l’avenue du Président Wilson qui doit être rebaptisée avenue du maréchal Pétain.

Parti de Vichy à 9 h 00, le maréchal Pétain, accompagné de l’Amiral Darlan, arrive à l’hôtel de ville vers 10 h 45, salué par les cloches des églises. Avant l’entrée à Montluçon, il a fallu stopper le convoi, le temps d’effacer les inscriptions hostiles tracées par Georges Rougeron et René Ribière sur les murs des jardins municipaux.

Après l’accueil par le docteur Cléret et par Raoul Méchain, Pétain gagne le 1er étage de la mairie pour la cérémonie de prestation du serment des légionnaires, en présence d’André Gervais président départemental de la légion. Peu avant midi, après la présentation des autorités et des corps constitués, il quitte l’hôtel de ville entre la double haie des Compagnons du Tour de France pour se rendre au monument aux morts de 1914-1918, alors situé square Fargin-Fayolle. Après le passage en revue des troupes, le cortège gagne ensuite l’avenue de la gare où plusieurs milliers d’enfants et d’adultes acclament Pétain qui parcourt le terre-plein en compagnie de l’Amiral Darlan et du préfet Porte.

De retour à l’hôtel de ville, après accueil par les maîtres sonneurs du Bourbonnais, Pétain fait une dernière apparition au balcon, avant un déjeuner « interminable et mal organisé ». Peu après 15 h, sous une pluie violente, il se rend à l’usine Dunlop pour visiter, sous la conduite de Jean Pétavy, les jardins ouvriers et les installations sportives.

Le cortège officiel quitte ensuite Montluçon pour se rendre à Commentry, où depuis le balcon de l’hôtel de ville Pétain prononce le discours sur les principes de la charte du travail qui sera radiodiffusé. Dès le lendemain, le Centre titrera sur « Montluçon et Commentry (qui) se sont données au maréchal ». Les quotidiens nationaux insisteront davantage sur le discours de Commentry et les actualités cinématographiques consacreront une longue séquence à la visite de Pétain.

Ce dernier reviendra brièvement à Montluçon, le 17 septembre 1943, mais dans des circonstances tragiques, à la suite du bombardement de l’usine Dunlop par la RAF. Visite des blessés à l’hôpital, recueillement devant la chapelle ardente dressée à la Chambre de commerce, avant passage par l’usine et les cités Dunlop, constituent les principales étapes de cette ultime visite.

 

Le Général De Gaulle, président de la République (vendredi 17 avril 1959)

Arrivé au pouvoir à la suite du 13 mai 1958, le général de Gaulle a fondé la 5e République, basée sur la nouvelle constitution, approuvée par referendum à l’automne. Soutenu par une large majorité gaulliste à l’Assemblée, il a été élu président de la République en décembre.

Sa venue à Montluçon a lieu moins d’un an après le 13 mai 1958 considéré à gauche comme un «coup de force», alors que la guerre d’Algérie est loin d’être terminée, le tout sur fond de mise en place du marché commun. Montluçon ne constitue qu’une brève étape au cours d’un périple de quatre jours entre Bourgogne et Bourbonnais. C’est le 17 avril que le cortège officiel de vingt voitures, parti de Saint-Pierre-le-Moûtier, arrive à Montluçon vers 10 h 20.

Première étape : l’usine Dunlop, où le cortège pénètre directement. De Gaulle est accueilli par le sénateur-maire André Southon et le PDG de l’usine, M. de Wouters, qui le guide dans la visite de l’atelier Tourisme. L’usine compte alors 4 700 salariés et sa « production couvre sensiblement le quart des besoins français en pneumatiques de toutes dimensions ».Au passage, De Gaulle serre des mains et s’adresse directement aux ouvriers avant de gagner l’hôtel de ville. La CGT et FO, les 2 principaux syndicats, avaient appelé à un débrayage à l’atelier poids lourds suivi par moins d’une centaine d’ouvriers. Si l’accueil n’a pas été hostile, il a été « plutôt réservé» selon le Centre, voire « glacial » selon André Touret.

 Par l’avenue Albert-Thomas, la rue de la République et le boulevard de Courtais, De Gaulle accompagné d’André Southon, se rend à l’hôtel de ville, accomplissant les trois cents derniers mètres à pied ; prélude à un bain de foule. Si les rangs étaient clairsemés le long du boulevard, la foule était dense sur la place. Peu d’édifices ont été pavoisés, à l’exception de la façade de la mairie, ornée d’une allégorie géante de la République.

Après passage en revue des troupes du CISM, il est accueilli par Jean Nègre, premier adjoint. Dans son discours de bienvenue, André Southon dresse le bilan de son action municipale et de ses priorités (l’école et le logement) et souhaite « une respectueuse bienvenue dans la cité». Il rappelle la « politique hardie» menée par Paul Constans et Marx Dormoy « dans cette ville ouvrière aux traditions socialistes ». Il souligne l’amour des Montluçonnais pour « la petite patrie » mais aussi pour « la grande patrie ». Et d’insister : « Ce qu’ils désirent, c’est vivre par le travail dans la paix et la liberté ». Des thèmes que de Gaulle reprendra dans sa réponse en soulignant que c’est un « idéal » partagé par toute la France, avant d’ajouter : « Nous sommes dans une période où la paix – et vous savez de quelle paix je veux parler – et la liberté vont être assurées ». C’est cette allusion à la paix que les journaux nationaux commenteront longuement.

 Peu avant midi, au moment de quitter Montluçon pour Vichy, de Gaulle prononce un bref discours sur les marches de l’hôtel de ville, conclu par La Marseillaise. Selon le Centre,« Montluçon a su demeurer fidèle à la fois à son caractère frondeur et à sa réputation d’hospitalité envers ses visiteurs (…). L’accueil de Montluçon, sans être enthousiaste, a été fort chaleureux ». On est loin de l’image d’un accueil violemment hostile, souvent reprise, mais que démentent témoignages, photos et comptes rendus de presse, notamment ceux de Centre Matin, pourtant peu enclin à soutenir le général de Gaulle.

François Mitterrand, président de la République (vendredi 6 juillet 1984)

François Mitterrand vient à Montluçon le 6 juillet 1984, trois ans après son élection, le 10 mai 1981. Après une période 1981-1982 marquée par de grandes réformes (nationalisations, augmentation du SMIC, retraite à 60 ans, abolition de la peine de mort…), le contexte économique et politique s’est nettement dégradé et l’heure est désormais à la « rigueur ». Les mois qui précèdent sa venue sont ponctués de manifestations d’éleveurs et d’agriculteurs, auxquels s’ajoutent de nombreux conflits sociaux dus aux restructurations industrielles qui touchent l’automobile, la sidérurgie, la chimie, le textile… Il faut y ajouter les effets du 2e choc pétrolier.

Le bassin montluçonnais n’échappe pas à la crise avec une série de fermetures d’usines (Péchiney-Saint-Gobain en 1982, après la chemiserie Rousseau en 1981). Dunlop, principale usine montluçonnaise, a déposé le bilan en octobre 1983, et la reprise par Sumitomo s’est soldée par la disparition de plus de 1 300 emplois directs et de centaines d’emplois indirects. C’est ce qui a valu à Montluçon d’être classé parmi les 14 pôles de conversion industriels mis en place en mars 1984 pour aider à la conversion et à la réindustrialisation dans les territoires les plus touchés. Enfin, au plan politique comme à l’échelon national, les relations entre socialistes et communistes se sont sérieusement tendues (Albert Chaubard, député PS élu en 1981, face à Pierre Goldberg, maire PC de Montluçon depuis 1977).

La visite présidentielle s’inscrit dans le cadre d’un voyage de deux jours en Auvergne, dont trois des grands thèmes concernent le bassin montluçonnais : les problèmes agricoles, le développement d’une industrie performante, la formation des jeunes aux nouvelles techniques.

François Mitterrand arrive en hélicoptère vers 15 h 45, en provenance de Clermont-Ferrand, accompagné de Gaston Defferre, ministre de l’intérieur et de l’Auvergnat René Souchon, ministre de l’agriculture. Cette « rencontre montluçonnaise franche et déterminée », selon La Montagne, durera à peine 2 h 15 avec deux étapes principales qui suivent la visite de l’IUT :

Une réunion de travail sur le thème des « Pôles de conversion» se tient d’abord à l’IUT, en présence des élus et des responsables économiques. C’est un moyen pour François Mitterrand de mesurer l’ampleur des difficultés du bassin économique avec le taux de chômage le plus élevé de l’Auvergne (12 % en moyenne mais 28 % chez les jeunes), mais aussi de tenter de rassurer en évoquant les dispositions prévues pour les Pôles de conversion. Face à un président qui se garde de toute promesse et effet d’annonce, La Montagne s’interroge : « Que peut faire un chef de l’État dans cette cité en proie au doute sur son avenir ? François Mitterrand avait bien sûr avec lui une trousse d’urgence». Dans cette « trousse » figurent la création d’un 4e département à l’IUT (Génie technique) et l’accélération du désenclavement. Il est aussi question du démarrage de deux nouvelles entreprises avec une centaine d’emplois chacune. Deux projets qui n’aboutiront jamais : « Il faut arrêter le train de la destruction industrielle. On essaie de le faire, on y arrivera, mais cela ne se fera pas avec un miracle » conclut François Mitterrand.

Une réception officielle à l’hôtel de ville, avec un discours du maire Pierre Goldberg, et la réponse de François Mitterrand : « Des applaudissements, des slogans et singulièrement “ Du travail, Président !” mais aussi quelques cris hostiles fusèrent » de la foule massée sur la place, écrit La Montagne. Après avoir rappelé ses liens avec Montluçon, où son père fut chef de gare, François Mitterrand conclut ainsi :

« Vous êtes des acteurs, des créateurs de la France moderne, prête à vaincre dans la compétition internationale. J’ai compris la capacité dont vous étiez capable pour sauver votre ville. Il s’agit aujourd’hui de gagner la bataille de tous les Français, quoi qu’ils pensent. »

Avant de quitter Montluçon pour rejoindre Moulins, comme De Gaulle en 1959, François Mitterrand va au contact de la foule : « Il est revenu vers ces cris du désespoir, vers ces pancartes portant des messages de détresse, vers ces larmes aussi versées par de jeunes femmes, comme si le chef de l’État, revenant ainsi sur ses pas, voulait signifier qu’il ne tournait pas le dos aux drames personnels vécus par les Montluçonnais », écrira la Montagne.

Avec François Mitterrand se clôt la liste des visites des chefs d’État, et depuis trois décennies, aucun président n’a fait le voyage montluçonnais.

Pour en savoir plus

Voir bulletin [3S, n° 68, p. 51-104, 2017] :Les visites des chefs d’État à Montluçon de Napoléon III (1864) à François Mitterand (1984)

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