Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

Les vieux Noëls bourbonnais

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Les vieux Noëls bourbonnais qui avaient fait l’objet d’un important travail de collecte de la part du docteur Georges Piquand avaient été publiés dans le bulletin de 1941 des Amis de Montluçon.

 

Dans notre province comme probablement dans de nombreuses autres régions, la tradition des chants de Noël est très ancienne et remonte probablement au Moyen Âge. Ces traditions ont disparu dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Durant un mois, de la fin du mois de novembre jusqu’à Noël et plusieurs soirs par semaine, à l’exception du vendredi, des groupes de jeunes gens parcourent les rues des villes et villages et s’arrêtent devant chaque porte pour entonner un couplet d’un chant de Noël (différent chaque jour). En échange ils reçoivent quelques gâteaux.

Les chanteurs de Noël à Montluçon

Le 23 décembre, le programme est différent car les groupes de chanteurs se réunissent soit à l’église, soit le plus souvent devant une croix de carrefour édifiée dans les quartiers ou au croisement des chemins dans les bourgs. À Montluçon, il y a deux groupes de chanteurs. Ceux de la paroisse Notre-Dame se retrouvent devant la croix près du chapitre Saint-Nicolas, passage du Doyenné. Après la Révolution, le lieu de regroupement se retrouve près de la Croix Verte.

Croix verte

Le second groupe, celui des chanteurs de la paroisse Saint-Pierre, se réunit au pied de la croix du Gibet, place des Châtaignes, que l’on situe approximativement aujourd’hui carrefour Saint-Pierre. Cette croix de pierre érigée à proximité du pilori a ensuite été déplacée tout en bas du boulevard de Courtais. Puis elle sera mise à l’abri à l’intérieur de l’église Saint-Pierre .

Croix de Saint-Pierre

Comment se déroulait cette tradition

Le 23 décembre, après avoir entonné le chant « La passion du doux Jésus » agenouillés devant la Croix, les chanteurs parcourent les quartiers en continuant ce chant et en marquant un arrêt devant chaque maison.

Le 24 décembre en matinée, ils parcourent à nouveau les rues pour quêter devant chaque maison, en reprenant le dernier couplet de « La passion du doux Jésus » :

Réveillez-vous, gens de bien !

Nous n’avons pas chanté pour rien !

Un petit sou dans notre gousset

Noël ! Noël ! Noël ! Noël !

Pour les habitants ces paroles sont une invitation à donner quelques pièces.

Ainsi le soir, le produit des quêtes permet de faire un réveillon, et le jour de Noël on mange les restes !

Des chanteurs issus de milieux populaires

Ces petits chanteurs, tant à Moulins qu’à Montluçon, sont recrutés essentiellement parmi les enfants des jardiniers. À Moulins, ils sont issus du faubourg Chaveau. À Montluçon, où il y a deux groupes, ceux de la paroisse Saint-Pierre se recrutent parmi les jardiniers du faubourg du Châtelet. Quant aux chanteurs de la paroisse Notre-Dame, ils viennent des quartiers de la Presle, du Diénat et de la Gironde ; plus tard se joindront à eux les enfants de la Croix-Blanche.

Ces deux groupes interprètent des chants différents, source de jalousie avec pour conséquence des affrontements lorsqu’ils se rencontrent dans les quartiers en limites de paroisses. Chacun ayant à cœur de protéger son territoire !

Il faut remonter à la création des deux paroisses montluçonnaises pour tenter de trouver une explication aux confrontations de ces deux groupes.

La paroisse Notre-Dame et le Chapitre Saint-Nicolas, siège de l’archiprêtré de Montluçon, relèvent de l’abbaye de Menat dont le prieur est le curé primitif de Montluçon, tandis que la paroisse Saint-Pierre relève de l’archiprêtré d’Huriel, lequel dépend des moines d’Évaux.

Cela peut expliquer la diversité des chants de chacun des groupes. Les chanteurs de la paroisse Saint-Pierre puisent dans les Noëls de la Combraille, tandis que ceux de Notre-Dame s’inspirent des chants issus du Berry ou de la Bourgogne.

Évolution dans le temps de la tradition

Cette tradition des chanteurs de Noël a perduré à Montluçon jusqu’au milieu du Second Empire avant de disparaître progressivement. À Moulins les chanteurs ont continué quelques années de plus avant qu’un arrêté du maire en 1866 y mette fin brusquement et définitivement. Est-ce que, comme à Montluçon, des conflits entre groupes sont à l’origine de cette décision du maire ? Pour cela il faudrait rechercher dans les archives municipales de la ville pour trouver les motivations qui ont incité le maire à rédiger l’arrêté.

Le Dr Piquand précise que jusqu’au XIIIe siècle, l’Église fait observer deux Carêmes : l’un avant Pâques qui existe encore aujourd’hui, et un autre avant Noël, appelé Carême de l’Avent qui commençait après la fête de saint Martin du 11 novembre et se terminait juste avant le 25 décembre. Il est possible que les jeunes gens, qui avaient participé aux offices de ce carême, aient continué de chanter ces Noëls à l’extérieur de l’église et qu’ainsi serait née la coutume des petits chanteurs de Noël !

Des paroles en lien avec les événements historiques

Le même auteur précise que ces Noëls bourbonnais ont pour origines les vieux Noëls français. Les plus anciens, qui remontent au IXe siècle, n’ont pas d’auteurs connus. Il s’agit d’œuvres anonymes qui tirent leurs origines du peuple. Celui-ci, ignorant le latin utilisé par l’Église, a composé ces chants dans lesquels il a transcrit ce qu’il percevait des Noëls chantés à l’église. Dans ces chants, l’espoir émanant de la naissance du Christ se traduit pour le peuple par l’espoir d’une vie meilleure, notamment celui de voir se terminer les guerres et disparaître les famines.

Ainsi par exemple, deux Noëls retrouvés et chantés à Montluçon font référence à la guerre de Succession d’Espagne qui a duré près de quinze ans. En 1711, ces deux chants expriment l’attente du peuple qui espère en la naissance du Christ pour voir la fin de ce conflit interminable et de tous les fléaux qu’il engendre : une famine atroce après deux hivers épouvantables que le pays n’avait jamais connus.

Durant les deux hivers de 1709 et 1710, les gens sont contraints de manger les racines et meurent de faim sur les chemins. Il suffit de consulter les registres paroissiaux de nos paroisses pour constater l’ampleur de la catastrophe où chaque jour les cadavres d’inconnus sont découverts sur les chemins.

Exemples de paroles

Ces chants sont d’autant mieux compris que les auteurs emploient le patois du pays pour exprimer l’attente des paysans bourbonnais.

L’un de ces Noëls exprime bien l’attente du peuple après toutes ces années de guerre :

Nous allons voir finir la guerre

Voici le bon temps revenu

Plus de gelées ni de coulures

Ici tout est en friches

Cet hiver serait pire que ne fut celui de l’an passé !

Dans le second Noël l’un des personnages demande ce que vient faire sur terre le Christ :

Ce beau dauphin qui était si bien là-haut

S’il faisait la paix d’Angleterre

Les Hollandais seraient penauds.

Un autre personnage lui répond :

Il fera peut-être bien cette paix en passant.

 

Le premier Noël, qui met en scène trois personnages, est écrit en patois parlé au sud-est de Montluçon, c’est-à-dire en langue d’oc

Ces deux chants sont interprétés pour la première fois à Montluçon et dans les paroisses environnantes en décembre 1711. Les deux auteurs traduisent parfaitement les sentiments et les attentes du peuple. Leurs chants connaissent un immense succès qui se poursuit longtemps puisque jusqu’au milieu du XIXe siècle ils sont encore au répertoire des chanteurs de Noël, alors que ceux-ci ne comprennent même plus le sens des paroles, devenues anachroniques.

Sur le plan musical

Quant à la musique accompagnant tous ces Noëls, elle est très diverse. Les premiers sont certainement chantés sur des airs d’église ou liturgiques, voire de cantate. Mais beaucoup ont disparu, et leur trace sonore s’est perdue. Lorsque le peuple compose ces Noëls en patois et commence à les chanter, il les interprète sur des airs alors « en vogue ». C’est ainsi que bon nombre sont accompagnés par des airs de bourrée.

Aujourd’hui certains de ces chants sont repris et interprétés durant le temps de l’Avent par des groupes de musique traditionnelle, telle que La Chavanée de Montbel.

Pour en savoir plus

Bibliographie

PIQUAND (Georges), Les vieux Noëls bourbonnais [bulletin des Amis de Montluçon, 2e série, n° 27, p. 2-40 – 1941]

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