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Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

L’épuration en région montluçonnaise (1944-1949)

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Activité associée

Les baraquements de Tronçais

Entre l’été 1944, celui de la libération, et le début des années 1950, avec les lois d’amnistie, l’Épuration a battu son plein. Si l’histoire a retenu les grands procès de la collaboration au plan national (Pétain, Laval et d’autres), l’Épuration a été aussi un fait local, notamment à Montluçon et dans ses environs. C’est cet angle qu’a choisi Jean-Paul Perrin pour traiter de l’Épuration.

 

I – LE CONTEXTE DE LA LIBÉRATION ET DE L’ÉPURATION À MONTLUÇON

 A – Quels sont les pouvoirs en place à la Libération ?

Au terme des combats de la libération de Montluçon, entre le 20 et le 26 août 1944, le pouvoir politique échoit au Comité Départemental de Libération. Vichy étant libéré le 26 août et Moulins seulement le 5 septembre, le CDL a pour tâche d’administrer le département, dans l’attente de la nomination d’un commissaire de la République représentant le gouvernement provisoire. Il regroupe les représentants des différents mouvements de résistance et des partis politiques n’ayant pas collaboré. Après des discussions âpres entre communistes et socialistes, un accord a été conclu le 10 août 1944. Présidé par René Ribière, ancien secrétaire général adjoint de la mairie de Montluçon (MUR), il a pour vice président Marcel Légoutière (CGT) et pour secrétaire Georges Rougeron. C’est donc un CDL essentiellement montluçonnais, mais qui prend des arrêtés applicables à tout le département et pour lequel la mise en place de l’Épuration est une tâche importante. Dans ses mémoires, Henry Ingrand, commissaire régional de la République, le qualifiera de « sorte de Comité de salut public, procédant à de nombreuses arrestations, à des nominations et révocations, allant même jusqu’à installer des Comités de gestion dans les usines (…). Il a créé une sorte de petite république locale où il entend rester souverain, le préfet n’intervenant que pour entériner les décisions du CDL ».

B – Quel est l’état d’esprit à Montluçon après la Libération ?

Avec les 38 morts des combats de la libération, et les 42 victimes du massacre de la carrière des Grises le 14 août 1944, la ville sort meurtrie de la guerre. Il en résulte un fort sentiment de vengeance à l’encontre de ceux qui sont considérés, à tort ou à raison  comme des complices : les “collaborateurs”. Sur la portée de cette épuration, trois tendances se dessinent :

Du côté du Parti communiste et des Milices patriotiques, on réclame « une épuration plus ferme, plus importante et plus sévère ». Pour les socialistes, l’épuration doit être rapide mais définitive et suivie d’apaisement. Enfin, pour les modérés, il faut montrer « une certaine indulgence ». Ces trois points du vue sont difficiles à concilier.

Dès le 5 septembre 1944, le CDL fait savoir qu’il « ne tiendra aucun compte  des lettres ou dénonciations anonymes ». En conséquence, « Il invite les comités locaux de libération à lui transmettre la liste des personnes dont l’arrestation est jugée nécessaire en raison de leur attitude pendant la période de l’occupation. Les propositions d’arrestation seront accompagnées de dossiers où seront consignés les faits relevés à l’encontre de chaque individu ».

De son côté, le préfet Robert Fleury rappelle que « Toutes arrestations, de quelques ordres qu’elles soient, doivent être effectuées par les services de police responsables qui ont seuls qualité pour procéder aux investigations et interrogatoires nécessaires ».

Des rivalités entre les composantes du CDL, mais aussi le sentiment partagé par une partie de la population que cette épuration ne frappe pas avec suffisamment de sévérité, conduisent à des conflits entre le CDL et le préfet, dont la démission est réclamée par le CDL dès la fin de 1944.

 

 

II – LES DIFFÉRENTS ASPECTS DE L’ÉPURATION

 A – Une première épuration extra-judiciaire : avant, pendant et après la Libération

123 exécutions ont eu lieu dans le cadre de la répression extra-judiciaire, dans tout le département, dont 93 au titre de la seule  collaboration politique, et ce avant, pendant et après la libération. 21 ont pour cadre Montluçon ou la proche agglomération montluçonnaise. Quelques exemples :

Jean Nouvet, commissaire central de Montluçon (décembre 1943) ; Albert Duguet, chef de gare principal, (mars 1944) ; Jean Lamy et une partie de la « bande à Lamy », le 27 juillet 1944, lors de l’attaque de l’hôtel de l’Ecu…

 B – L’Épuration économique : les grandes entreprises frappées en priorité

La guerre n’étant pas terminée, il faut que les entreprises continuent de fonctionner pour alimenter l’effort de guerre.  Le CDL, méfiant vis-à-vis des anciennes équipes dirigeantes, met en place des Comités de gestion dès le 27 août 1944, d’abord dans les entreprises de plus de 100 salariées puis dans celles de plus de 25.  Chaque comité compte trois membres : un ouvrier (CGT), un cadre ou technicien choisis par l’UNITEC, et un troisième membre ayant « la direction effective de l’entreprise et qui sera responsable devant les autres membres du comité ».

Les dirigeants des entreprises sont frappés par l’Épuration, avec arrestation et internement. Ce sera le cas de ceux qui ont ouvertement collaboré (Meiller, aux Fers Creux), de ceux qui ont affiché leur “maréchalisme” (Pétavy à Dunlop), ou de ceux qui ont privilégié les intérêts de leur entreprise quitte à se compromettre plus ou moins (Alajouanine à la Sagem). L’épuration concerne aussi des cadres, voire des ouvriers, qui sont licenciés : à l’usine Dunlop, un comité d’épuration patriotique siège à l’Édifice communal. Pour repérer les suspects, il lance un appel à la délation auprès du personnel.

C – L’Épuration de la presse locale : le journal Le Centre devient Le Centre républicain

Pour disposer de moyens de communication efficaces, le journal Le Centre, qui a soutenu ouvertement le régime du maréchal Pétain sous la plume de son rédacteur en chef Jean Joussain du Rieu, a été saisi par décision du CDL dès le 20 août 1944 pour laisser place au Centre républicain. Pendant quelques mois,  communistes et socialistes parviennent à cohabiter, en alternant les éditoriaux. Cette situation ne sera plus tenable lorsque les élections  se profileront au printemps 1945. En 1946, la société éditrice du Centre sera jugée, et ses biens seront officiellement confisqués pour être dévolus au Centre républicain.

D – Municipalités et délégations spéciales nommées par l’État Français

L’ordonnance du 20 avril 1944 prévoyait que « les conseils municipaux élus devaient être maintenus ou remis en fonction après révocation de ceux de leurs membres ayant « directement favorisé l’ennemi ou l’usurpateur » et qui seraient alors complétés par le préfet sur avis du CDL ». Une trentaine de municipalités sont remplacées par des municipalités provisoires, homologuées ou non, durant la première période du CDL, sur proposition des Comités locaux de libération. À Montluçon, où les fonctionnaires municipaux qui avaient été suspendus ou révoqués sont réintégrés, comme à Domérat et dans de nombreuses communes de l’arrondissement, la passation des pouvoirs se fait « en douceur ». Au 27 novembre 1944, 259 conseils municipaux auront été remaniés ou remplacés, et 62 maintenus en raison de l’absence de propositions.

E – Une page sombre de l’épuration : le Camp de Tronçais

Le Centre de séjour surveillé (CSS), dit Camp de Tronçais, a fonctionné du 19 août au 28 octobre 1944, sous l’autorité du Groupe Police du maquis qui avait déjà procédé à des arrestations  « préventives » avant la libération. Deux camps de moindre ampleur l’ont précédé, le premier à Louroux-Bourbonnais, transféré ensuite dans un second à Saulzet. Parmi ses prisonniers de marque figurait Jacques Chevalier, le philosophe et ex-ministre du maréchal Pétain, arrêté dès juin 1944.

C’est le 19 août 1944 que le CSS s’installe aux Chamignoux à Isle-et-Bardais, dans les baraquements des anciens Chantiers de jeunesse, avec 153 détenus gardés par 55 FFI. 98 seront rapidement libérés, mais les effectifs vont très vite grimper jusqu’à plus de 260 avec les nombreuses arrestations effectuées dans les semaines qui suivent la libération de Montluçon. Après un passage par l’Hôtel de France, situé alors face à l’hôtel de ville, où ont lieu les premiers interrogatoires, marqués par de nombreux actes de violence, les détenus sont transférés au Camp de Tronçais. Le 9 septembre, le camp devenu trop exigu est déplacé à Saint-Jean-de-Bouys, près de l’étang de Tronçais, toujours dans les locaux des anciens Chantiers de jeunesse.

Gardiennage et commandement du camp sont assurés par Police du Maquis sous l’autorité du  commandant Rodenburger, dit Roden, un ancien inspecteur de police ayant rejoint la résistance. Il a été nommé à titre provisoire « Commandant départemental, chef de Police », par arrêté du CDL du 26 août 1944. Sous ses ordres sévit une équipe de « gradés » dont les points communs sont la violence du comportement et un acharnement marqué sur certains détenus. Ceux-ci sont répartis dans différents baraquements (filles, miliciens, notables, commerçants, industriels…). Pendant deux mois, les détenus sont victimes de « brimades, sévices, travaux inhumains, actes de sadisme, torture dans un climat de terreur inadmissible » reconnaît Georges Rougeron. L’arrivée à la mi-octobre 1944 du 204e  bataillon FTP (Commandant Jonin) crée des tensions avec Roden et Police du maquis qui se considéraient comme « maîtres chez eux ». Plusieurs visites officielles et rapports (dont celui de la Croix Rouge) apportent des informations contradictoires sur les camps et les conditions de vie des détenus.

Finalement, le Camp de Tronçais sera fermé le 28 octobre 1944 et les détenus transférés  soit à la prison de Moulins (La Malcoiffée), soit au Concours hippique de Vichy, tous les deux centres de séjours surveillés. Dix ans plus tard, en 1954, les responsables du camp, Roden en tête, auront à répondre de leurs actes devant le TPFA de Lyon, qui prononcera leur relaxe. Si les violences commises à Tronçais ne font plus débat, la question qui reste à trancher est celle de la responsabilité du CDL : que savait-il exactement ? A-t-il pris toutes les mesures nécessaires ? Comment expliquer qu’il ait fallu plusieurs semaines avant qu’il ne réagisse ? Pour André Touret « Ici on a affaire à un groupe de gardiens incontrôlés, aux instincts primaires, qui n’avaient même pas l’excuse d’obéir aveuglément à une idéologie et qui agissaient pour leur propre compte. C’était la nature humaine livrée à ses plus bas instincts… ».

 

III – LA MISE EN PLACE DES TRIBUNAUX D’EXCEPTION

Passées les premières semaines de la libération, des tribunaux se mettent en place pour juger les actes de collaboration. Une éphémère Cour martiale de l’Allier, composée de juges militaires, siège du 2 octobre au 2 novembre 1944, le temps de prononcer notamment 8 condamnations à mort dont 2 commuées, et 6 condamnations aux travaux forcés.

A – La Cour de justice de l’Allier (4 décembre 1944-26 avril 1946)

Prévue par l’ordonnance du GPRF du 26 juin 1944, la cour de justice de l’Allier siège à Moulins du 4 décembre 1944 au 26 avril 1946. Elle comprend un magistrat présidant la cour et quatre jurés désignés par une commission. La présidence est assurée simultanément par M. Martin, président du tribunal de première instance de Moulins, et par Camille Gagnon, président du Tribunal d’instance de Montluçon.

Elle juge les membres du groupe Collaboration, de la LVF, du parti Franciste, du SOL, de la Milice, du PPF, et plus généralement les personnes ayant participé à des manifestations en faveur de ces mouvements ou en faveur de la collaboration. Elle ne prend pas en compte le service de l’État Français dans l’administration, les mairies, la charte du travail, la corporation paysanne, la Légion des combattants, l’armée, la police, pour éviter l’engorgement du tribunal.

La Cour de justice peut prononcer des peines de mort (éventuellement par contumace), des peines de travaux forcés (à perpétuité ou à durée), des peines de prison, assorties ou non d’amendes, et la dégradation nationale à vie ou a durée. L’indignité nationale entraîne automatiquement la dégradation nationale. C’est l’équivalent d’une « mort civile ».

Pendant ses 17 mois de fonctionnement, outre les 966 classements sans suite, la Cour de justice  jugera 646 personnes au cours de  232 audiences. Parmi les peines prononcés : 20 condamnations à mort dont 10 commuées en travaux forcés, et 77 condamnations à mort par contumace ; 142 condamnations aux travaux forcés, 186 condamnations à des peines d’emprisonnement, mais aussi 101 acquittements et relaxes. De nombreux exemples présentés lors de la conférence concernaient la région montluçonnaise. On pourra les retrouver dans le prochain Bulletin des amis de Montluçon. (Peut-être, suivant la décision qui sera prise ?)

B – La Chambre civique de l’Allier (3 janvier 1945-28 mars 1946)

Créée par ordonnance du 28 novembre 1944, elle siège à Moulins du 3 janvier 1945 au 28 mars 1946. Elle a pour but de juger les personnes dont les actions ne sont pas punissables pénalement : le travail volontaire en Allemagne, le fait d’avoir occupé un emploi à des postes subalternes dans des services allemands, ou pour des femmes d’avoir eu des rapports avec des militaires allemands. Sont aussi passibles des chambres civiques le fait d’avoir appartenu à des « mouvements antinationaux », ou d’avoir tenu des propos ou commis des actes « antinationaux ».

Elle peut prononcer des peines d’indignité nationale et de dégradation nationale.

La Chambre civique de l’Allier tiendra 95 audiences en 13 mois, avec 996 affaires jugées, soit 5 à 30 cas affaires par audience. A compter du 1er mai 1946, les dossiers non terminés seront transférés à la cour de Riom.

Comme pour la Cour de justice, les affaires inscrites sont d’abord annoncées par la presse, qui rend ensuite compte des audiences (avec l’identité de l’accusé(e), l’adresse, l’âge et les chefs d’accusation.

L’examen de la presse montre d’abord que pour la région montluçonnaise de nombreuses femmes sont jugées pour avoir eu des relations intimes avec des Allemands, ce qui se solde par des peines de dégradation nationale à vie, parfois assorties de la confiscation des biens.

Avoir appartenu, ou montré de la sympathie, à des mouvements politiques collaborationnistes ou vichystes est un autre motif de comparution. Là encore, un important contingent provient de la région montluçonnaise. Au fil du temps, on constate, comme pour les cours de justice, un certain « adoucissement » des peines, ce qui suscite des récriminations du CDL : l’appartenance à un parti collaborationniste qui pouvait valoir des peines de dégradation nationale à vie au début de 1945 peut se solder par une simple relaxe ou un acquittement en 1946. Dans le même temps, la part dévolue à l’Épuration par les journaux dans leurs pages s’amenuise pour être simplement expédiée en quelques lignes dans les derniers mois de fonctionnement de la Cour de justice ou de la Chambre civique. Lassitude du public…

 CONCLUSION : QUEL REGARD PORTER SUR L’ÉPURATION AU PLAN DÉPARTEMENTAL ET LOCAL ?

Georges Rougeron, à la fois historien et acteur de l’histoire de la libération et de l’Épuration  considère que « Les organes judiciaires de ce temps en Allier surent montrer que des tribunaux d’exception peuvent aussi rendre une justice sereine. L’instruction menée durant de longs mois pour la Cour de justice et la Chambre civique fut dans tous les cas minutieuse, détaillée, établissant à charge comme à décharge, aucun témoignage, aucun fait ne se vit être minoré ou négligé ».

Si le terme de  « justice sereine » peut paraître exagéré, il n’est pas possible de comprendre ce qu’a été l’Épuration si on ne la replace pas dans le contexte de l’époque : entre la pression populaire et la demande de justice de la part de ceux qui s’étaient investis dans la Résistance, les tribunaux, certes d’exception, ont essayé de remplir au mieux leurs missions. Ajoutons que si certaines condamnations peuvent rétrospectivement paraître sévères, la plupart ont bénéficié des lois d’amnisties successives et de plus en plus larges entre août 1947 et août 1953. Ce qui ne doit pas faire oublier pour autant les excès et les exactions qu’a pu provoquer l’Épuration, le cas le plus emblématique étant celui du Camp de Tronçais, peut-être trop longtemps passé sous silence ou minoré.

Pour en savoir plus

Voir bulletin [3S, n° 67, p. 35-98 – 2016] : L’Épuration en région montluçonnaise (1944-1949)

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