Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

Enseigner l’archéologie au grand séminaire de Moulins au début du XXe siècle : l’exemple de l’abbé Clément

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En 1985, Claude Langlois faisait remarquer que l’enseignement qui avait été dispensé dans les grands séminaires depuis le début du XIXe siècle jusqu’à la première moitié du XXe siècle était assez mal connu. Depuis, d’autres historiens, comme Marcel Launay, ont abordé cette thématique. Ces travaux portent surtout sur le XIXe siècle ; le passage consacré par Marcel Launay sur l’enseignement dans les séminaires au XXe siècle reste assez succinct. La façon d’aborder les enseignements est surtout descriptive et n’apporte que peu d’éléments nouveaux par rapport au travail de Claude Langlois. Malgré les dix-huit années d’intervalle entre les deux publications, la connaissance de l’enseignement dans les séminaires n’a que peu progressé. Le livre de Samuel Gicquel renforce ce constat. Même si l’auteur ne traite que du cas breton, le passage qu’il consacre à la formation des prêtres reste dans le même esprit que les études citées précédemment. Les auteurs se contentent ainsi de citer les matières enseignées tout au long du XIXe siècle, pour montrer que, peu à peu, l’enseignement des sciences, de l’histoire, de la philosophie et de l’archéologie est entré dans les séminaires pour faire partie du bagage intellectuel courant des prêtres au début du XXe siècle.

Les cours de l’abbé Clément dans les archives

Une porte d’entrée possible pour étudier cette thématique de l’enseignement dans les grands séminaires consiste à traiter les archives des professeurs qui y ont enseigné. Faut-il encore que nous disposions de telles sources. Avec l’abbé Clément, nous avons la possibilité d’une telle approche. Le chanoine Joseph Clément, plus connu dans le département de l’Allier sous le nom de l’abbé Clément, est devenu professeur d’archéologie au grand séminaire de Moulins-sur-Allier en 1910. Érudit local reconnu en son temps, l’abbé Clément nous a laissé un fonds d’archives important composé de documents divers qu’il avait, de son vivant, constitué en collections. Ces archives ont été scindées en deux fonds : l’un déposé aux archives départementales de l’Allier ; l’autre aux archives du diocèse de Moulins. Parmi ces sources, la série 75J190 contient les cours que l’abbé Clément a préparé pour mener sa classe, avec non seulement ses textes, mais aussi sa bibliographie. De même, sous différentes cotes, nous trouvons des éléments de sa correspondance ; parmi ces lettres, plusieurs d’entre elles sont issues de sa correspondance avec ses élèves ou anciens élèves. Nous disposons ainsi de sources primaires riches aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif.

L’abbé Clément (1860-1927)

Apparition de l’archéologie dans les matières enseignées

La matière enseignée par l’abbé Clément est également symptomatique d’une époque où la formation des prêtres gagne en qualité et en contenu. L’abbé Clément enseignait en effet l’archéologie. Cet élément est à prendre en compte et pose un double problème. En premier lieu, nous sommes en droit de nous interroger sur la formation de l’abbé Clément. Pourquoi fut-il plus légitime qu’un autre pour enseigner cette matière ? En second lieu, nous abordons une discipline relativement neuve pour l’époque et qui en est encore à ses débuts sur le plan scientifique. L’archéologie, entendue comme la discipline qui étudie les vestiges matériels du passé, n’apparait qu’au XIXe siècle. Elle commence à s’émanciper de l’histoire de l’art vers 1848 où les premières chaires d’archéologie font leur apparition dans les universités européennes. En étudiant l’enseignement de l’archéologie dans les années 1910-1920, c’est donc l’enseignement d’une discipline relativement neuve que nous découvrons dans son acception universitaire. Cet enseignement dans un séminaire peut être vu comme un signe de l’ouverture des grands séminaires sur la modernité de leur époque. Fanny Defrance-Jublot a d’ailleurs montré que l’archéologie avait été vue par les hommes d’Église comme un moyen de redonner du crédit à leur discours et de s’intégrer au monde savant de leur époque. Mais d’un autre côté, avec la crise moderniste des années 1910, les prêtres archéologues et préhistoriens ont parfois été accusés de renier leur foi.

L’étude de l’enseignement de l’archéologie dans un séminaire n’est donc pas anodine et peut cristalliser les interrogations sur l’utilité de cet enseignement et sa capacité à ouvrir les futurs prêtres sur le monde dans lequel ils vivent.

La formation de l’abbé Clément

Comme beaucoup de prêtres de cette époque, l’abbé Clément s’est formé lui-même. Dans plusieurs lettres de sa correspondance, ainsi que dans les notes de bas de page de ses publications, nous trouvons des traces de références bibliographiques. Nous pouvons donc apprécier l’effort que l’abbé Clément a fait pour poursuivre son instruction après ses années de séminaire. Ses dépenses pour les livres qu’il commande montrent un réel engagement financier du prêtre. Certains des livres sur lesquels il s’appuie sont des références en leur temps. Les ouvrages de Faustin Poey d’Avant en sont un bel exemple. Dans le dossier 9J44, il fait référence plusieurs fois à Joseph Déchelette. L’abbé Clément lisait aussi des études régionales, qui ne portaient pas uniquement sur le département de l’Allier. Ainsi, nous pouvons restituer le spectre de ses lectures et la façon dont il a acquis et parfait ses connaissances archéologiques. Il consultait aussi bien des livres de portée nationale que de portée régionale. Ses connaissances étaient un mélange de savoirs réellement disciplinaires et de savoirs érudits. Les hommes tels que l’abbé Clément étaient donc dans une position d’interface entre le monde savant et le monde des érudits locaux. Ils jouaient également un rôle d’interface entre le monde des nouvelles connaissances et la tradition catholique. Nous touchons bien ici à ce fameux entre-deux, cette zone grise que nous décrivions dans l’introduction. L’autodidacte Clément ne se contentait pas de savoirs érudits que l’on peut considérer comme plus faciles d’accès. Il se frottait à des ouvrages d’assez haut niveau. Il jouait donc ce fameux rôle de courroie de transmission entre deux mondes aux exigences intellectuelles différentes. De plus, professeur d’archéologie au grand séminaire de Moulins, cette autoformation faisait de lui un relais de cette hybridation intellectuelle auprès de ses élèves. Il devait transmettre un savoir disciplinaire pointu tout en étant dépositaire d’une tradition religieuse. Nous remarquons aussi que les dates de publications des quelques livres que nous avons donnés en exemple montrent que l’abbé Clément a continué de s’instruire et de se cultiver tout au long de sa vie. Il se trouvait ainsi dans une logique d’acquisition perpétuelle de connaissances.

Les idées de l’abbé Clément sur l’enseignement de l’archéologie

Nous avons conservé dans son intégralité l’introduction générale du cours que l’abbé Clément dispensait à ses élèves. Ce texte nous permet de savoir comment l’abbé Clément concevait l’enseignement de sa matière. La lecture attentive du texte permet de comprendre qu’il s’inspirait de manuels tout en incorporant des réflexions personnelles. Nous pouvons ainsi pénétrer la pensée du professeur d’archéologie et comprendre ce qui, selon lui, rend cet enseignement indispensable pour les futurs prêtres.

Nous reproduisons ici quelques passages de cette introduction :

« Trop souvent, sous le titre d’archéologie, les manuels et les cours se bornent à traiter de l’architecture. C’est un arbitraire regrettable. En effet, un cours d’archéologie, même limité à cet objet, ne peut avoir la prétention de former des architectes ».

Cette première phrase du cours de présentation est assez explicite. Le professeur trouve que les manuels ne sont pas assez ouverts et qu’ils sont trop réducteurs dans la façon de concevoir l’archéologie. Il reproche à l’enseignement classique de l’archéologie de trop porter sur l’architecture, donc sur les bâtiments. Nous comprenons également qu’il fait preuve d’un esprit critique quant aux manuels qui sont classiquement utilisés dans les séminaires. Nous avons là un indice qui montre que l’abbé Clément, en tant que professeur, a réfléchi sur une certaine mise en œuvre pédagogique. Il poursuit son texte ainsi :

« … nous n’avons pas nous même la prétention de tout dire, mais seulement de vous présenter un résumé des diverses connaissances qui intéressent le prêtre considéré soit comme un constructeur, soit comme un gardien des édifices de culte, soit comme un voyageur curieux de comprendre les monuments qu’il visite. »

Il écrit encore :

« …nous vous proposons, pendant deux ans, de vous exposer l’ensemble des connaissances archéologiques afin de vous faire aimer l’art chrétien qui contribue par des formes diverses à la magnificence du culte… »

Les connaissances archéologiques ont une utilité première pour le prêtre : défendre, protéger l’église qu’on lui confie. Il doit maîtriser des notions en archéologie afin de ne pas laisser détruire son édifice de culte. Nous retrouvons là la thématique du vandalisme révolutionnaire et les prêtres doivent être préparés à défendre leur lieu de culte face à d’éventuels saccages. L’étude des autres civilisations apparaît dans l’expression « ensemble des connaissances archéologiques », mais cet enseignement a pour objectif de renforcer l’amour de l’art chrétien chez le jeune prêtre. Cet enseignement est donc fondé sur un jugement de valeur qui présuppose que l’art chrétien est supérieur aux autres. Les connaissances archéologiques sont ici conçues comme un outil pour promouvoir le culte. Pourtant l’abbé Clément n’oublie pas que le prêtre voyageur peut être amené à visiter des monuments. L’utilité de l’archéologie se réduit ici à une simple nécessité de culture générale.

Planche de dessins de différentes palmettes

L’archéologie, moyen de comprendre les sociétés et la vie des hommes

« Enfin, peut-on nier l’argument (selon lequel) … elle (l’archéologie) nous transporte vers ces temps primitifs et les origines des sociétés, et déroule à nos yeux le tableau progressif de la civilisation. Elle nous fait pénétrer dans les intimes des peuples anciens. » Ou encore : « Elle fournit d’amples renseignements sur une partie de la vie des peuples qui ne trouve pas sa place dans l’histoire trop préoccupée des grands princes, des grandes batailles. »

L’abbé Clément fait ici part à ses élèves d’une autre dimension de l’archéologie. Il agit sur l’imaginaire de ses élèves avec l’emploi du verbe transporter qui laisse penser qu’il considère l’archéologie comme un voyage, comme un moyen d’atteindre le passé et de remonter le temps. L’archéologie est pour lui un moyen de comprendre les sociétés et la vie des hommes. Il a ainsi une conception de l’archéologie qui se rapproche des sciences sociales puisqu’il explique à ses élèves que l’archéologie est un moyen de comprendre les sociétés du passé et de remettre les hommes ordinaires au centre de l’Histoire. C’est ici une conception assez neuve de l’archéologie qui tranche avec l’habitude érudite d’accumuler des collections d’objets. Elle tranche aussi avec les manuels qu’il utilise et qui se contentent de décrire des grands ensembles architecturaux. Ces deux courtes phrases illustrent l’hybridation entre l’homme de foi et l’homme de science. L’archéologue veut diffuser sa science et expliquer à ses élèves l’intérêt de sa discipline qui vise à mieux comprendre le passé et la vie des hommes en société. Cependant, cette longue introduction rappelle que pour la formation des prêtres, l’enseignement de l’archéologie vise d’abord un intérêt utilitaire puisqu’il doit permettre de donner aux futurs hommes d’Église les moyens de défendre la foi catholique.

Cours de l’abbé Clément

En abordant les activités de professeur d’archéologie de l’abbé Clément, nous avons pu apporter un éclairage nouveau sur cet érudit montluçonnais. A la fois prêtre et homme de savoir, il est certainement à son époque le plus qualifié pour dispenser cet enseignement au grand séminaire de Moulins qui fait ici preuve d’ouverture en permettant aux futurs prêtres d’être instruits dans une discipline relativement récente pour l’époque. En dispensant cet enseignement, l’abbé Clément devait répondre à une demande institutionnelle visant à armer intellectuellement les futurs ministres du culte pour défendre la foi catholique. Pourtant l’enseignement de l’abbé Clément se veut également pointu, ce qui montre que le grand érudit bourbonnais se trouvait parfois dans une zone grise, tiraillé entre la défense de la foi et les exigences du raisonnement scientifique.

Pour en savoir plus

Bibliographie

– VIPLE (Joseph) – Nécrologie – le chanoine Joseph H. M. CLÉMENT (éloge nécrologique lu en séance publique de la société d’Émulation du Bourbonnais le 1er juillet 1927) [bulletin des Amis de Montluçon, 2e série, n° 7, p. 49-55 – 1927]

– GUY (André) – Pierre PRADEL et le chanoine Joseph CLÉMENT, (communication donnée en séance publique de la société d’Émulation du Bourbonnais le 19 novembre 1977) [bulletin des Amis de Montluçon, 3e série, n° 29, p. 1-12 – 1978]

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