Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

Des fontaines publiques aux sanitaires privés … Histoires d’eaux

Publication

Activité associée

Les Bains-douches, avenue Jules-Ferry

Une hydrographie abondante : l’histoire de la géographie ou l’identité du territoire

La rivière Cher constitue la colonne vertébrale du territoire, et ses affluents, le maillage démographique et historique de cette vallée. Au-delà de la séquence urbaine, la ruralité s’ancre largement par ses paysages bocagers révélateurs d’une culture d’élevage ancestrale, ses ripisylves évoluant au fil des socles géologiques. Autant de paysages caractéristiques, espaces naturels ou façonnés par l’homme, qui portent les traces des activités et de l’histoire des flux de populations par le bâti, les ouvrages d’art, le petit mobilier ou encore les bois et les landes offrant une lecture indélébile de notre passé… Territoire aux multiples facettes, il se développe des deux côtés de cette épine dorsale. De sa naissance, puis de ses gorges, le Cher, avec ses affluents, constitue « au fil de l’eau » un véritable arbre généalogique, historique, géographique et ethnique du Pays de Montluçon.

L’accès à l’eau : un vecteur de l’évolution humaine

Le déroulé de la présentation s’ancre sur les enjeux de l’accès à l’eau à Montluçon et les outils et moyens mis en œuvre par l’homme pour y répondre. Une grande part est dédiée à la période industrielle, de la seconde partie du XIXe siècle jusqu’à nos jours. En effet, cette présentation est le fruit du travail collectif d’un groupe constitué durant le premier confinement en 2020, mené par le Cercle Archéologique, et qui donnera lieu à une publication détaillée d’ici quelques mois.

Ainsi, des temps ancestraux et médiévaux préfigurent les notions d’hygiène, de science hydrologique et citadine. Les usages sont principalement vivriers, agricoles et défensifs. La cité et alors concentrée autour de la motte castrale et du faubourg Saint-Pierre. Les cours du Cher et du Lamaron, contigus à l’habitat, ont d’ailleurs contribué au système défensif par les douves ou fossés alimentés par le ruisseau, et aux activités artisanales comme la forge grâce à la rivière. Quant à l’eau utilisée à des fins domestiques, dès le XVe siècle, des témoignages iconographiques et écrits attestent de l’existence d’un réseau. Le document le plus ancien conservé dans les archives mentionne les adductions d’eau pour les fontaines dès 1406 : le fontainier Jean Gavelle reconnaît le paiement de ses gages pour l’entretien et les réparations de la font de la ville l’année passée (1405). Autre témoignage : le polyptyque de la Vie de la Vierge à Notre-Dame montre en arrière-plan la source de la rue de la Fontaine et confirme le point central et ancestral d’un réseau d’alimentation en eau de source de la cité des bords de Cher.

Les aménagements hydrauliques du 2e âge d’or

Avec le boom industriel et démographique des XIXe et XXe siècles naissent de nouveaux besoins en eau pour les usines, des exigences de gestion de l’espace urbain, des travaux d’aménagement liés au contrôle des cours d’eau (endiguement, captage, réseaux). Il faut aussi prendre des dispositions d’hygiène, de salubrité, de santé publique induites par ces révolutions industrielles. Des infrastructures hydrauliques au service de l’industrie sont installées dès la première moitié du XIXe siècle : c’est le cas du canal de Berry et de son bassin portuaire à Montluçon, alimenté en période d’étiage par le réservoir artificiel des Étourneaux – actuel étang de Sault. À la fin du XIXe siècle, la rivière est endiguée dans son trajet urbain par la construction des quais Ledru-Rollin, des Nicauds, du Foirail et enfin Rouget-de-Lisle en 1899.

La population va décupler en un siècle et le périmètre de la ville va s’étendre logiquement de l’ouest au sud suivant les mouvements démographiques liés aux révolutions, productions et virages industriels. En 1901, Montluçon compte 35 000 habitants et 50 % des actifs sont ouvriers. Un ouvrage d’ampleur est alors engagé : Rochebut. Ce barrage de type poids-voûte de 50 m de haut et de 98 m de long fut construit de 1906 à 1909. Associé à une centrale hydroélectrique, son but est de régulariser le cours du Cher. Il doit atténuer les effets des crues, éviter les inondations répétées de Montluçon, et contenir l’eau nécessaire à la ville et à ses usines.

Rue des Forges

L’eau : un besoin essentiel face au boom urbain

La ville vit donc une véritable mue urbaine et les municipalités vont devoir entreprendre des travaux colossaux face à cette demande grandissante et vitale, tant au niveau des entreprises que des résidents et usagers. En 1866, deux sources sont mentionnées : une aux Conches et une à Crevallas. Depuis plus de 10 ans, le conseil municipal réclame l’établissement d’une convention et d’un règlement entre le service des eaux et les concessions. En 1883, enfin, un réseau d’adduction d’eau du Cher pour l’usage ménager et industriel voit le jour. Mais il ne se substitue pas au « réseau d’eau de source » qui continue à se développer pour l’eau potable. Montluçon a donc, dès lors, deux réseaux distincts indépendants l’un de l’autre.

En 1891, un projet de distribution des eaux de sources fait état de 4 sources : Les Conches (mère des sources), Crevallas, les Cordeliers (Hôpital) et les Forges. Un plan général de 1895 dressé par A. Weiss constitue un véritable état des lieux des deux réseaux d’eau de source et d’adduction du Cher. Selon la légende du précieux support, pour l’eau de source, il convient de comptabiliser cinq circuits de fontaines et réservoirs associés. Celui de Notre-Dame (D) correspond au réseau originel, le plus ancien, alimenté par la conduite d’amenée de la source-mère des Conches allant au réservoir de la place de la Fontaine. Il se différencie du réseau de source des Conches (C) détourné vers le Foirail puis conduit par le pont St-Pierre pour alimenter les fontaines de la Ville Gozet. La source des Forges (F) alimente le quartier éponyme, puis descend vers la gare et le lycée jusqu’en 1899, année où elle fut polluée. Celle des Conches dut alors prendre le relais. L’eau des Cordeliers (H) était distribuée dans le quartier de l’hôpital et de la Gironde. Cependant, des rapports de mesure mettent en avant la faiblesse de son débit à cause du besoin massif de l’établissement hospitalier, ce qui va très vite limiter l’extension du réseau. De plus, à proximité, le réservoir de l’Hôpital par adduction d’eau du Cher est opérationnel dès 1885. Enfin, sur la rive gauche, la source et le réservoir de Crevallas (C) alimentent la Ville-Gozet en pleine extension à l’ouest.

L’avènement de la carte postale dès 1900 nous permet de mettre en exergue les fameuses fontaines-bornes qui sortaient de nos usines montluçonnaises et représentent un excellent support de mémoires, tant historique que technique.

L’eau : un aliment indispensable mais « source » de maladies…

L’explosion démographique va également induire des dispositions nécessaires à la santé publique. Les études et expertises médicales, les informations publiques par ouvrages ou communiqués à la population, la mise en place de bureaux d’hygiène reflètent l’implication municipale et politique dans ces domaines. Un extrait du petit bréviaire de l’hygiène par le Docteur Lefèvre permet de contextualiser les bases sanitaires et prioritaires – s’inscrivant d’ailleurs dans le mouvement hygiéniste de l’époque – : la nécessité de l’eau, ses dangers de contaminations et les gestes à adopter, les aliments et boissons à consommer, les vertus du vin consommé avec modération, mais aussi un procès contre l’alcool, véritable fléau de santé publique.

Notons qu’en 1896, plusieurs publications rappellent à la population que l’eau d’adduction du Cher n’est pas propre à la consommation. Il faudra attendre 1913 et le traitement par l’ozone pour que l’eau du Cher soit bonne à boire !

1913 : Une année clef

Cette année est marquée par l’extension du tissu urbain avec l’installation de la nouvelle caserne Richemont au Cluzeau. Les besoins en eau s’en trouvent accrus, et malheureusement les tentatives de captage de nouvelles sources sont des échecs. Il faut donc mettre en place un traitement de l’eau du Cher afin de la rendre potable grâce à l’usine du Gour-du-Puy. En revanche, pas moins de 39 fontaines-bornes en fonte alimentées par les sources des Conches et de Crevallas continuent de jalonner la ville.

La hausse de la population liée à l’activité industrielle implique des mesures d’hygiène et de salubrité. Ainsi, les premiers bains-douches sont établis avenue Jules Ferry par l’architecte municipal et engagé Pierre Diot suivant la politique de santé publique conduite par le maire Paul Constans. Un plan d’implantation de 11 lavoirs modernes avait été initié quelques années avant, et 1913 marque la construction de celui de la Route de Moulins.

Pour revenir à l’usine d’eau potable du Gour-du-Puy, les nouvelles techniques de traitement de l’eau par l’ozone suscitent parfois des réticences… Ainsi, dans le journal Le Centre du 29 juin 1913, M. Louis Bonnaud, ex fontainier-chef de la ville, adresse une tribune à M. Paul Constans : maintenant que l’eau du Cher du réseau d’adduction a été rendue potable grâce au procédé d’ozonisation, l’ancien agent municipal proclame la décision du maire d’imposer ce nouveau système et surtout de l’étendre à toute la ville. Il estime que le recul n’est pas suffisant, que le coût est exorbitant, et que les conséquences sur la santé publique restent douteuses…

Les réseaux continuent donc de se développer chacun de manière distincte, avec une extension rapide et progressive du réseau captant l’eau de la rivière. Mais pour l’eau de source, le manque d’entretien des conduites, les changements de normes, notamment au niveau des nitrites, conduisent en février 1990 à déclarer l’eau de source non potable.

Accès à l’eau du côté des privés…

Si le contexte sanitaire et le boom urbain ont amené la municipalité à développer le réseau d’eau et les techniques d’adduction d’eau du Cher, certains privés sont équipés de puits, fontaines ou sources dans leurs propriétés. Il n’est pas aisé d’en faire l’inventaire car l’eau a de tout temps été une denrée précieuse et vitale, donc souvent cachée. Dans le noyau médiéval, des puits sont intégrés à l’architecture d’hôtels particuliers souvent dédiés à une classe sociale noble. Dans cette catégorie, n’oublions pas notre manoir du XVe siècle, le château de Bien-Assis, qui bénéficie de sa propre source, à faible débit certes, dans sa cave !

Les différents captages et réseaux originels se définissent souvent selon la topographie, la géologie, l’occupation des sols et leurs vocations. On constate, par exemple, de nombreux puits liés à la source-mère par remontées phréatiques dans la zone d’habitat ancien de Châteauvieux. L’utilisation à des fins agricoles, viticoles et maraîchères explique les parcellaires en clos ou jardins. Dans la seconde partie du XIXe siècle, ces précieux équipements constituaient logiquement une importante plus-value immobilière. La source de Crevallas servait notamment à alimenter des cressonnières en contrebas de son réservoir dans l’actuelle rue Clément Ader. Elle est également attachée à l’activité vinicole domératoise. De même, les implantations d’organisations religieuses dans la ville et périphérie s’associèrent aux nécessaires équipements hydrauliques. Ainsi, les noms des Cordeliers, Bernardines, Bains-des-Sœurs, Ursulines, Saint-Jacques, Saint-Maur sont d’autant plus éloquents et semblent logiquement liés aux conduites, regards et captages aménagés.

Pour l’accès à l’eau au sein de l’habitation, il faudra bien souvent attendre la fin des années 50 avec la construction des grands ensembles sociaux ou logements HLM ! Un véritable confort dédié à une population ouvrière modeste dont les mémoires vivantes illustrent encore toute une époque pas si lointaine…

Histoires d’eaux : témoignages 

– « Juste après la deuxième guerre, en 1946-47, je travaillais à la chemiserie Phénix et deux fois par semaine je venais aux Bains-Douches, ici (maison du projet actuel) avant de rentrer route de Paris (av. du Gal de Gaulle). » Jeannine, 90 ans.

– « Enfant, j’ai vécu dans différentes cités populaires montluçonnaises et l’eau courante n’était pas encore installée : nous allions chercher de l’eau au puits au moins 5 fois par jour ! Pour la toilette, la vaisselle, la cuisine… Et pour le bain : une fois la semaine, tous les gamins dans le grand baquet ! » Alain, 60 ans.

– « Dans cette tour de la Verrerie, on a tout sur place, le chauffage central, et quand nous sommes arrivés dans les premiers locataires en 1971, on découvrait l’eau au robinet et les sanitaires privés, c’était le grand luxe ! » Paulette, 80 ans.

Et si le Cher lui aussi parlait…

Moi, votre Cher… Je nais à Mérinchal et je cours sur 367 km pour rejoindre « ma supérieure » la Loire, à Villandry. Le bassin Montluçonnais m’offre un cadre bien spécifique : après la traversée d’un plateau granitique, mes gorges sauvages laissent place à ce vaste lit urbain marquant mon entrée vers la plaine du Berry.

À Montluçon, j’ai ainsi vu évoluer les hommes et leurs activités : des moulins, des forges, un croisement de voies romaines aujourd’hui sous mes eaux ; puis le remarquable château des Ducs de Bourbon s’est établi sur le Mons Lucens, et sa cité s’est développée à l’abri des remparts ; pour traverser mes flots, les plus anciens passages furent le Pont Vieux puis le Pont Saint-Pierre ; ensuite, l’industrie moderne est arrivée : révolution industrielle, activités sidérurgiques et métallifères. Au long de ces XIXe et XXe siècles, que de cheminées se reflètent dans mes eaux, que de ponts ferroviaires et routiers, que de passerelles m’enjambent ! Adieu paysages de bocage et de vignes bordant mes rives ! Une nouvelle ville ouvrière s’organise : Canal de Berry, Hauts Fourneaux, Verrerie, Glacerie, Usine Saint-Jacques, usine des Fers Creux… Autant de noms qui caractérisent ce siècle de l’Industrie. On m’endigue, on tente même de maîtriser mes caprices avec le barrage de Rochebut en 1909.

Mon histoire est ainsi liée à celle des hommes : minotiers, ferronniers et forgerons, mais aussi pêcheurs à la ligne ou au carrelet, baigneurs, quantité de laveuses bavardes sur mes berges ou sur le fameux Bateau-Lavoir pour les professionnelles… Tous profitèrent de mon existence et de mes vertus. Aujourd’hui, kayakistes, pratiquants de diverses activités nautiques, promeneurs et cyclistes peuvent bénéficier des aménagements de mes berges.

Alors, préservez-moi car je suis Essence de vie… D’ailleurs, ne dites-vous pas « Tout ce qui est RARE est CHER » ?

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