II – LES DIFFÉRENTS ASPECTS DE L’ÉPURATION
A – Une première épuration extra-judiciaire : avant, pendant et après la Libération
123 exécutions ont eu lieu dans le cadre de la répression extra-judiciaire, dans tout le département, dont 93 au titre de la seule collaboration politique, et ce avant, pendant et après la libération. 21 ont pour cadre Montluçon ou la proche agglomération montluçonnaise. Quelques exemples :
Jean Nouvet, commissaire central de Montluçon (décembre 1943) ; Albert Duguet, chef de gare principal, (mars 1944) ; Jean Lamy et une partie de la « bande à Lamy », le 27 juillet 1944, lors de l’attaque de l’hôtel de l’Ecu…
B – L’Épuration économique : les grandes entreprises frappées en priorité
La guerre n’étant pas terminée, il faut que les entreprises continuent de fonctionner pour alimenter l’effort de guerre. Le CDL, méfiant vis-à-vis des anciennes équipes dirigeantes, met en place des Comités de gestion dès le 27 août 1944, d’abord dans les entreprises de plus de 100 salariées puis dans celles de plus de 25. Chaque comité compte trois membres : un ouvrier (CGT), un cadre ou technicien choisis par l’UNITEC, et un troisième membre ayant « la direction effective de l’entreprise et qui sera responsable devant les autres membres du comité ».
Les dirigeants des entreprises sont frappés par l’Épuration, avec arrestation et internement. Ce sera le cas de ceux qui ont ouvertement collaboré (Meiller, aux Fers Creux), de ceux qui ont affiché leur “maréchalisme” (Pétavy à Dunlop), ou de ceux qui ont privilégié les intérêts de leur entreprise quitte à se compromettre plus ou moins (Alajouanine à la Sagem). L’épuration concerne aussi des cadres, voire des ouvriers, qui sont licenciés : à l’usine Dunlop, un comité d’épuration patriotique siège à l’Édifice communal. Pour repérer les suspects, il lance un appel à la délation auprès du personnel.
C – L’Épuration de la presse locale : le journal Le Centre devient Le Centre républicain
Pour disposer de moyens de communication efficaces, le journal Le Centre, qui a soutenu ouvertement le régime du maréchal Pétain sous la plume de son rédacteur en chef Jean Joussain du Rieu, a été saisi par décision du CDL dès le 20 août 1944 pour laisser place au Centre républicain. Pendant quelques mois, communistes et socialistes parviennent à cohabiter, en alternant les éditoriaux. Cette situation ne sera plus tenable lorsque les élections se profileront au printemps 1945. En 1946, la société éditrice du Centre sera jugée, et ses biens seront officiellement confisqués pour être dévolus au Centre républicain.
D – Municipalités et délégations spéciales nommées par l’État Français
L’ordonnance du 20 avril 1944 prévoyait que « les conseils municipaux élus devaient être maintenus ou remis en fonction après révocation de ceux de leurs membres ayant « directement favorisé l’ennemi ou l’usurpateur » et qui seraient alors complétés par le préfet sur avis du CDL ». Une trentaine de municipalités sont remplacées par des municipalités provisoires, homologuées ou non, durant la première période du CDL, sur proposition des Comités locaux de libération. À Montluçon, où les fonctionnaires municipaux qui avaient été suspendus ou révoqués sont réintégrés, comme à Domérat et dans de nombreuses communes de l’arrondissement, la passation des pouvoirs se fait « en douceur ». Au 27 novembre 1944, 259 conseils municipaux auront été remaniés ou remplacés, et 62 maintenus en raison de l’absence de propositions.
E – Une page sombre de l’épuration : le Camp de Tronçais
Le Centre de séjour surveillé (CSS), dit Camp de Tronçais, a fonctionné du 19 août au 28 octobre 1944, sous l’autorité du Groupe Police du maquis qui avait déjà procédé à des arrestations « préventives » avant la libération. Deux camps de moindre ampleur l’ont précédé, le premier à Louroux-Bourbonnais, transféré ensuite dans un second à Saulzet. Parmi ses prisonniers de marque figurait Jacques Chevalier, le philosophe et ex-ministre du maréchal Pétain, arrêté dès juin 1944.
C’est le 19 août 1944 que le CSS s’installe aux Chamignoux à Isle-et-Bardais, dans les baraquements des anciens Chantiers de jeunesse, avec 153 détenus gardés par 55 FFI. 98 seront rapidement libérés, mais les effectifs vont très vite grimper jusqu’à plus de 260 avec les nombreuses arrestations effectuées dans les semaines qui suivent la libération de Montluçon. Après un passage par l’Hôtel de France, situé alors face à l’hôtel de ville, où ont lieu les premiers interrogatoires, marqués par de nombreux actes de violence, les détenus sont transférés au Camp de Tronçais. Le 9 septembre, le camp devenu trop exigu est déplacé à Saint-Jean-de-Bouys, près de l’étang de Tronçais, toujours dans les locaux des anciens Chantiers de jeunesse.
Gardiennage et commandement du camp sont assurés par Police du Maquis sous l’autorité du commandant Rodenburger, dit Roden, un ancien inspecteur de police ayant rejoint la résistance. Il a été nommé à titre provisoire « Commandant départemental, chef de Police », par arrêté du CDL du 26 août 1944. Sous ses ordres sévit une équipe de « gradés » dont les points communs sont la violence du comportement et un acharnement marqué sur certains détenus. Ceux-ci sont répartis dans différents baraquements (filles, miliciens, notables, commerçants, industriels…). Pendant deux mois, les détenus sont victimes de « brimades, sévices, travaux inhumains, actes de sadisme, torture dans un climat de terreur inadmissible » reconnaît Georges Rougeron. L’arrivée à la mi-octobre 1944 du 204e bataillon FTP (Commandant Jonin) crée des tensions avec Roden et Police du maquis qui se considéraient comme « maîtres chez eux ». Plusieurs visites officielles et rapports (dont celui de la Croix Rouge) apportent des informations contradictoires sur les camps et les conditions de vie des détenus.
Finalement, le Camp de Tronçais sera fermé le 28 octobre 1944 et les détenus transférés soit à la prison de Moulins (La Malcoiffée), soit au Concours hippique de Vichy, tous les deux centres de séjours surveillés. Dix ans plus tard, en 1954, les responsables du camp, Roden en tête, auront à répondre de leurs actes devant le TPFA de Lyon, qui prononcera leur relaxe. Si les violences commises à Tronçais ne font plus débat, la question qui reste à trancher est celle de la responsabilité du CDL : que savait-il exactement ? A-t-il pris toutes les mesures nécessaires ? Comment expliquer qu’il ait fallu plusieurs semaines avant qu’il ne réagisse ? Pour André Touret « Ici on a affaire à un groupe de gardiens incontrôlés, aux instincts primaires, qui n’avaient même pas l’excuse d’obéir aveuglément à une idéologie et qui agissaient pour leur propre compte. C’était la nature humaine livrée à ses plus bas instincts… ».