En 1945 Montluçon, comme toutes les villes françaises, est confrontée à une grave crise du logement, qui se caractérise de deux manières : pénurie et insalubrité. Cette situation était déjà présente dans l’entre-deux-guerres mais elle est accentuée par les bombardements et les destructions liées au second conflit mondial, et aussi par la reprise démographique importante dès la fin des années quarante (le baby-boom).
C’est une ville fortement touchée par les bombardements puisque 1 000 logements ont été détruits, majoritairement dans le quartier Viviani-Dunlop. Elle n’est toutefois pas déclarée ville sinistrée puisque pour cela il faut que le parc immobilier ait été détruit à au moins 30 %.
En attendant les dédommagements de ses sinistrés et la reconstruction des logements détruits – notamment les cités Dunlop –, Lucien Menut maire socialiste de la ville n’a comme choix que d’utiliser les baraquements de Villars.
Sur le plan de la construction de logements neufs, Lucien Menut n’a que peu de solutions à sa disposition mais il souhaite utiliser un levier opérationnel important : l’Office public d’habitation à bon marché (OPHBM) de la ville.
I – La lente mise en place d’une politique du logement (1948-1958)
1 – Les cités d’initiative municipale
De 1948 à 1958, les deux maires socialistes qui se succèdent à la tête de la ville tentent de prolonger l’œuvre de leurs prédécesseurs Paul Constans et Marx Dormoy. Le premier a créé l’OPHBM de Montluçon en 1921. Le second est à l’origine de la construction des cités des Guineberts et du Cluzeau édifiées de 1931 à 1933.
Le 28 mai 1948, le conseil municipal de Montluçon décide la construction d’une nouvelle cité d’Habitation à bon marché (HBM). Cette volonté est rendue possible par les lois du 30 mars et du 3 Septembre 1947 qui financent quelques mesures favorables aux offices d’HBM.
Trois sites sont pressentis pour accueillir ce projet, et c’est finalement celui de la rue des Droits de l’Homme qui est retenu. Quatre-vingts logements sont mis en service entre janvier et avril 1953. Les pièces des logements sont plus spacieuses et mieux équipées que celles de la cité des Guineberts. Les habitations possèdent notamment une salle d’eau, rendue obligatoire par la loi du 3 septembre 1947.
Dès 1950, soit 3 ans avant la mise en service de la cité de la rue des Droits de l’Homme, la municipalité envisage la construction de 64 logements rue de Beaulieu sur une parcelle jouxtant celle de la rue des Droits de l’Homme, et 96 dans le quartier voisin des Marais, plus précisément rue Neuve et rue Camille Desmoulins. Cette même année, les HBM sont devenues des habitations à loyer modéré (HLM), selon le souhait d’Eugène Claudius-Petit, ministre du MRU. Il tient ainsi à démontrer que les loyers de ces logements sont modérés grâce aux financements de l’État mais qu’ils ne sont pas nécessairement bon marché.
Ces trois cités sont assez semblables du point de vue architectural avec des procédés techniques traditionnels. Il faut cependant préciser que les logements des cités de Beaulieu et de la rue Neuve sont plus petits que ceux de la rue des Droits de l’Homme.
Ce phénomène est lié à un abaissement des surfaces des logements HLM entre la loi de 1947 et deux arrêtés du 4 mai 1951 et du 30 décembre 1953.
Cette baisse des surfaces dans les logements HLM est probablement à mettre en parallèle avec le désir de baisser le coût de la construction. Au début des années 1950, les capacités des entreprises françaises du bâtiment ne permettent pas d’améliorer la productivité. La baisse de surfaces et de normes est donc la seule méthode efficace pour faire baisser le prix de la construction.
Une baisse des surfaces que l’on retrouve dans trois programmes à normes réduites élaborés par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme.
2 – Des cités élaborées par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme
Le 12 avril 1954, le préfet de l’Allier annonce à André Southon que l’OPHLM de la ville bénéficie d’une dotation de 20 logements dans le cadre d’un programme national nommé « les logements économiques de première nécessité » (LEPN).
Ces logements sont liés à l’appel de l’abbé Pierre au journal de 20 h du 1er février 1954. Le ministère agit rapidement à cette « insurrection de la bonté » car des modèles de ce type avaient déjà été imaginés lors des chantiers expérimentaux.
La ville de Montluçon choisit de construire cette cité d’urgence rue de Domérat, à proximité des baraquements de Villars. Cette localisation correspond peut-être à une volonté de proposer un logement de meilleure qualité à certains sinistrés qui vivent dans ces baraquements. Elle peut également être interprétée comme une volonté d’isoler les futurs locataires sur un terrain situé à l’extrémité nord-ouest de la ville. Ces cités de première nécessité correspondent en effet à une conception ségrégative du logement. Elles accueillent dans des appartements de transition des locataires jugés « asociaux ou inadaptés », qu’il est impossible d’accueillir dans le parc de logement social ordinaire (les logements de catégorie B).
Cette cité s’avère plus chère que prévue, et Robert Gominet, secrétaire général de la mairie, précise dans son exposé sur le logement « qu’étant donné l’importance des travaux annexes ou supplémentaires, il eut été préférable d’améliorer les différentes pièces des logements ». Cette idée d´un rapport qualité-prix médiocre des LEPN se retrouve dans le diagnostic posé au niveau national sur ce programme de construction. Il semble également peu adapté au public visé, car le coût de ces constructions est « à la fois trop bas pour avoir des logements décents et trop élevé pour loger les plus pauvres ».
Pour combler les carences de ce type de logements, le MRU élabore alors successivement deux nouveaux programmes nationaux : les logements économiques normalisés (LEN) de l’opération « million » et les logements populaires et familiaux (Lopofa).
Montluçon bénéficie d’une dotation de 40 logements « million » et de 100 Lopofa. La municipalité qui possède une réserve foncière dans le secteur de Rimard, où elle songe notamment de mettre en place un lotissement, choisit de céder gratuitement une partie de ces terrains pour construire ce qui deviendra la cité de Rimard.
De 1948 à 1959, l’OPHLM de Montluçon a construit 400 logements, effort louable mais insuffisant puisque 2 500 demandes sont en attente à l’office. D’autres projets en liens avec la politique nationale sont heureusement en cours dès l’année 1956.
II – L’âge d’or de la construction HLM (1960-1971)
1 – La rénovation des quartiers ouvriers de la ville
Au printemps 1956, Pierre Puget, urbaniste en chef au ministère de la Reconstruction et du Logement, présente lors d’une conférence un projet original : la démolition d’un îlot insalubre du quartier de Montcourtais, les cités ouvrières des usines Saint-Jacques, par des logements HLM neufs. Ce programme n’est pourtant pas imposé par le ministère chargé du logement mais émane plutôt de la volonté de la direction des usines Saint Jacques de se débarrasser de l’entretien onéreux de ces habitations.
Ces 319 logements sont construits entre mars 1958 et août 1961en deux tranches de travaux. C’est une cité qui mélange les procédés techniques traditionnels et des procédés plus modernes avec l’utilisation de béton armé pour l’ossature intérieure des murs.
Cette opération de « rénovation urbaine avant la lettre » préfigure un autre programme encore plus important celui de la Ville-Gozet. Cette opération à l’initiative de la direction départementale de la Construction fait suite aux décrets de décembre 1958 qui mettent notamment en place les rénovations urbaines. A Montluçon, l’îlot à détruire est celui de Brevelle, situé au cœur de la Ville-Gozet. Il faut préciser que dès 1921, un plan d’embellissement de la ville prévoyait la démolition de cet îlot et son remplacement par un jardin public. Brevelle a été construit dans la seconde moitié du XIXe siècle, au moment de l’industrialisation de la ville, et il est constitué de maisons assez disparates. Certaines sont en bon état mais 89 % sont jugées en mauvais état ou insalubres. Jean Nègre, maire de la ville, est au départ sceptique sur ce programme, notamment car il a conscience des difficultés de relogement des habitants de ce quartier.
Une fois démolies, les maisons doivent être remplacées par un grand ensemble moderne de 572 logements et par des équipements commerciaux et sociaux. Les premières années, ce programme se déroule assez rapidement et les immeubles D et B sont mis en service respectivement le 15 juin 1967 et 15 novembre 1967. Il n’a fallu qu’un peu plus de 15 mois pour réaliser ces deux tours, ce qui est rapide d’autant que le bâtiment B a connu des problèmes de financement.
En 1970 débute la construction de l’immeuble C1, dénommé résidence République. Cet immeuble n’est pas construit par l’OPHLM mais par la Société centrale immobilière de construction. Cette société devait également construire la plus haute des tours du quartier : plus de 50 mètres de haut avec 27 étages.
Compte tenu de la conjoncture économique de Montluçon, cette société ne souhaite plus investir seule et c’est donc l’OPHLM de Montluçon qui vient à la rescousse pour sauver ce projet de l’abandon.
Le projet est revu à la baisse puisque le nombre d’étages est abaissé à 21 au lieu de 27. Les appartements de cette tour C2 sont issus d’une toute nouvelle mesure nationale nommée Programme à loyer réduit (PLR).
Si les premières années du programme de la rénovation urbaine se sont déroulées plutôt rapidement, en revanche, au cours des années 70, cette rénovation Ville-Gozet prend énormément de retard et ce chantier permanent devient difficile à vivre pour les riverains. C’est l’inconvénient principal des programmes de démolition reconstruction concernant les centres villes ou les quartiers industriels. Une contrainte que l’on ne rencontre pas avec les quartiers bâtis ex-nihilo à la périphérie de la ville.
2 – Des grands ensembles à la périphérie de la ville
Le 6 Avril 1956, la municipalité apprend par un courrier du sous-secrétaire à la Reconstruction et au Logement que l’OPHLM de Montluçon doit recevoir une dotation de 600 logements dans le cadre d’un programme qui se nomme le secteur industrialisé. C’est un programme national dont l’objectif initial est de « développer une nouvelle forme d’habitat collectif ».
Lorsque ce programme arrive à Montluçon, il a beaucoup évolué par rapport à ses débuts et les méthodes de construction sont de plus en plus industrialisées et beaucoup plus productives.
Initialement le secteur industrialisé doit être implanté dans le secteur de Bien Assis. C’est en tout cas le souhait de M. Tagliani directeur départemental de la Construction. Mais les services techniques de la ville et la municipalité estiment que compte tenu des travaux d’assainissement et d’adjudication en eau notamment le projet n’est pas rentable même pour 600 logements.
Comme au milieu des années 50 des projets de lotissements sont en cours dans des terrains du secteur de Fontbouillant, c’est finalement cet endroit qui est choisi pour implanter ce grand projet. Les 1230 logements sont construits par le consortium d’entreprises, une filiale des sociétés Lefaure et Quillery. La municipalité et l’OPHLM n’ont qu’un poids limité sur les adjudications de travaux puisque les choix des entreprises sont limités en amont par le ministère de la Construction.
Le procédé technique Lefaure-Quillery consiste à préfabriquer au sol des portiques complets en charpentes métalliques servant d’ossature à la construction. Les deux premiers portiques sont levés à l’aide d’un mât, les autres au moyen d’un chariot spécial se déplaçant de travée en travée. Les planchers préfabriqués au sol sont mis en place en commençant par les étages supérieurs. Ils sont constitués par une dalle pleine en béton armé allégée par des caissons en fibragglos. Les immeubles hauts du grand ensemble de Fontbouillant sont donc composés d’une structure mixte métal-béton.
Avec la construction de Fontbouillant, il ne s’agit plus seulement d’édifier des logements mais également de prévoir des équipements commerciaux, sociaux, culturels et sportifs. Les décrets de décembre 1958 mettent en effet en place des zones à urbaniser en priorité (ZUP) qui regroupent dans un même lieu tous les programmes de construction de plus de 500 logements. Une conférence de coordination préalable à la constitution d’une ZUP à Fontbouillant se déroule le 15 décembre 1959. L’acquisition des terrains nécessaires à ce projet ayant déjà été effectuée, les services centraux du ministère de la Construction estiment qu’il n’est finalement pas nécessaire d’aller au bout de cette procédure. C’est finalement un avantage pour la ville de Montluçon car à partir du moment où le périmètre d’une ZUP est défini, tous les programmes de construction doivent, pour bénéficier des financements pour les équipements annexes (commerces, centres sociaux), être établis au sein de ce périmètre. L’absence d’un arrêté ministériel de création d’une ZUP à Fontbouillant permet donc à un autre grand ensemble de voir le jour dans le secteur de Bien-Assis-les Étourneaux.
Loin de l’idée d’un grand ensemble construit au gré des opportunités foncières, la zone d’habitation de Bien-Assis naît de la conjonction de deux facteurs. D’abord, de la volonté de petits propriétaires de transformer un lotissement-jardin en lotissement à bâtir. Ensuite, du souci de la municipalité et de la Direction départementale de la Construction, de développer harmonieusement ce secteur de la ville et d’envisager pour cela l’utilisation de la toute nouvelle procédure de plan de détail d’urbanisme, pour déterminer des fonctions précises aux différentes zones de ce grand secteur.
Le plan d’aménagement de Bien-Assis est confié à l’urbaniste Michel Brault qui doit composer avec un certain nombre de contraintes dont les servitudes aériennes liées à la proximité de l’aérodrome de Villars. Ce plan prévoit notamment la présence de logements collectifs dans le secteur nord-est du quartier. Les propriétaires du lotissement-jardin ont l’impression de se voir déposséder de leur projet de construire leur habitation. Ceux du secteur des Étourneaux sont particulièrement lésés et 64 propriétaires refusent catégoriquement ce plan. Leur action en justice qui dure quatre ans parvient à modifier le projet initial de Bien-Assis : le nombre de logements collectifs du secteur des Étourneaux, futur Bien-Assis 2, est nettement diminué.
La partie sud-ouest du grand ensemble (Bien-Assis 1), est également modifiée par rapport au plan masse initial. Jean Nègre estimait que les grands immeubles prévus le long de la cité faisaient écran et risquaient de faire de ce quartier une enclave.
Les 936 logements de cette partie de Bien-Assis sont entièrement l’œuvre de l’OPHLM. Ils sont financés par un programme triennal fortement encadré par le ministère de la Construction. C’est l’entreprise locale, Tabard-Bussière qui remporte l’adjudication de travaux.
De 1958 à 1972, l’OPHLM de Montluçon construit 3 800 logements, majoritairement dans des grands ensembles. Ce type d’habitat est pourtant rapidement remis en cause.
III – La remise en cause des grands ensembles : étude de cas sur la réhabilitation de Fontbouillant (1973-1988)
Deux lois de 1971 et 1973, les circulaires Chalandon et Guichard, mettent fin à la politique des grands ensembles à une époque où ceux de la rénovation urbaine Ville Gozet et de Bien Assis ne sont pas encore terminés.
1 – Fontbouillant est une cité au vieillissement précoce
Dès les premières années de sa mise en service, les malfaçons de certains grands bâtiments de cette cité ont causé des soucis aux locataires et à l’OPHLM de Montluçon. Entre juillet 1966 et avril 1967, de nombreux documents (correspondances entre la commission des travaux et Jean Nègre, extraits de registre de conseil d’administration de l’OPHLM) attestent de désordres concernant certaines parties des façades des bâtiments hauts.
Au cours de la décennie 70, le nombre de logements vacants augmente assez régulièrement pour atteindre 136 en 1979.Ce chiffre incite la municipalité de Pierre Goldberg et l’OPHLM à trouver des solutions pour diminuer ce phénomène. Dans sa séance du 22 juin 1978, le conseil municipal accepte l’élaboration d’une procédure Habitat et vie sociale (HVS).
En 1982, HVS n’a débouché que sur le diagnostic concernant le bâti. Elle ne correspond donc pas totalement à l’ambition initiale de cette mesure : améliorer le bâti des grands ensembles mais aussi les conditions de vie des habitants.
En fait, quatre ans après le début de l’opération HVS, la municipalité et la direction de la Construction n’ont pas définitivement tranché entre la réhabilitation ou la destruction de certains immeubles du quartier. Un document au titre explicite : « Essai pour une démolition-reconstruction partielle programmée de l’ensemble de Fontbouillant », présente un projet où la réhabilitation n’est absolument pas envisagée. L’option présentée part du constat que plus de 200 logements sont vacants dans les grands immeubles de Fontbouillant. L’amélioration de ces bâtiments hauts, compte tenu « de leur conception, qui conduit à l’entassement et la promiscuité, est illusoire » Ce projet estime donc nécessaire de démolir les cinq grands bâtiments, c’est-à-dire 990 logements, et de ne conserver que les 240 logements des petits bâtiments. Pour reloger les habitants des immeubles détruits, des « opérations-tiroirs » d’environ 800 logements sont envisagés à Fontbouillant mais aussi à la ZAC de Rimard pour rééquilibrer l’urbanisation sur la rive droite du Cher.
Le Développement social des quartiers (DSQ), mesure instaurée par le gouvernement socialiste nouvellement en place, permet de donner une nouvelle impulsion à la requalification du quartier
2 – Vers la démolition du bâtiment B
HVS trouvait son origine dans le meurtre d’un adolescent de la cité des 4 000 à la Courneuve. La procédure DSQ est de son côté liée à une série d’incidents qui ont lieu dans le quartier des Minguettes à Vénissieux. Instauré à Fontbouillant pour une période de quatre ans (1984-1988), le DSQ vise non seulement à améliorer l’aspect architectural du quartier mais aussi de mettre en place des actions pour les habitants et notamment les jeunes. Comme il est impossible de détailler ici chaque mesure instaurée dans ce quartier, j’ai souhaité focaliser mon propos sur le plus grand immeuble du quartier : le bâtiment B.
Le bâtiment B mesure 200 mètres de long. Par sa taille imposante, il est probablement le plus emblématique de la cité. Il cristallise également les problèmes que connait ce quartier dès les années soixante-dix. Le nombre de logements non occupés ne cesse de croître pour atteindre 140 en 1985 ; à lui seul il possède donc 58 % des logements vacants de cette cité.
Tous les diagnostics convergent vers la même conclusion, il n’est pas possible de conserver ce bâtiment en l’état. Il doit être dédensifié pour redevenir attractif. Dans un premier temps, une solution d’écrêtage de ce bâtiment est proposée. Ce projet ambitieux mais onéreux doit permettre une mixité de population.
En juin 1986 et conformément aux propositions présentées au comité interministériel de la ville en novembre 1985, la solution de la démolition de 6 étages du bâtiment B est retenue Cette démolition partielle par écrêtage est une solution intéressante, car elle permet de conserver le bâtiment tout en le dédensifiant d’une manière très nette. Cette solution est élaborée dans le cadre de « Banlieues 89 ».
Malheureusement, à partir de janvier 1987, le programme « Banlieues 89 » ne peut plus tenir les engagements initiaux envisagés lors des rencontres antérieures entre les représentants du ministère et les responsables de l’OPHLM de Montluçon. Le conseil d’administration de l’OPHLM qui se réunit le 23 janvier 1987 doit donc faire face à un surcoût non prévu de l’opération d’écrêtage du bâtiment B. Ce projet devient inenvisageable pour l’OPHLM et la ville de Montluçon. C’est donc la démolition qui devient la seule option réalisable, elle est officialisée en janvier 1987.
La décision de détruire ce bâtiment semble logique, elle est justifiée par le délabrement avancé de cet immeuble et par son taux important de vacance. En effet en octobre 1986, sur les 414 logements vacants de la cité, 129 sont situés au bâtiment B. Pierre Goldberg précise que cet « acte de démolir a été décidé à la suite d’échanges de vues avec la population de Montluçon et de Fontbouillant ». Je n’ai pas trouvé de documents où la population du quartier a été consultée sur ce sujet. Les deux principaux arguments avancés pour justifier cette démolition sont : les économies réalisées par l’OPHLM et une démolition qui doit mettre un terme à la mauvaise réputation du quartier. L’analyse des choix concernant ce bâtiment prouve une nouvelle fois que c’est presque toujours l’aspect financier qui détermine la décision finale.
C’est la Société nouvelle de démolition (la SED) qui est chargée de la préparation des travaux de destruction. Les immeubles de Fontbouillant sont composés d’une ossature métallique, ce qui a conduit cette entreprise à choisir un procédé d’implosion pour détruire le bâtiment B. Durand les mois et les semaines précédant l’opération de démolition, les éléments non porteurs ont été retirés (cloisons, cages d’ascenseurs, tuyauteries, panneaux de façades). La structure métallique a été affaiblie manuellement en réalisant des coupes sur les profilés métalliques. Les 3 000 charges d’explosifs sont ensuite déposées le long des découpes effectuées et reliées à 2 000 détonateurs. Ces travaux sont effectués par des artificiers de la société américaine CDI car cette implosion du bâtiment B est une première européenne. En effet, comme le souligne Denis Guétat, directeur de la SEB, 98 % des immeubles européens sont en béton.
La préparation en amont ne concerne pas que l’aspect technique mais également la population. Si le bâtiment B a été vidé progressivement de ses habitants, les derniers ne sont partis qu’en avril 1988. La mise en place d’un plan de sécurité est organisée dès le matin du jour de l’explosion. Les immeubles C, F, H et G ainsi que le centre culturel et le Foyer de jeunes travailleurs sont évacués de 11 heures à 13h15. Ils sont accompagnés par le personnel de l’office et des points d’accueil sont prévus. Pour cette opération, 350 policiers et auxiliaires de la gendarmerie sont mobilisés et sont chargés de boucler un périmètre de trois kilomètres. A l’intérieur de ce périmètre, la circulation des véhicules est interdite de 9 h à 14 h. Le mercredi 9 novembre 1988, à 12 h 50, le « colosse » de 200 mètres de long, 13mètres de large et 11 niveaux est littéralement soufflé par l’implosion programmée. C’est toute une page de l’histoire de ce quartier qui se tourne. Pierre Goldberg, qui a déclenché l’opération de destruction, parle d’une « destruction nécessaire pour donner une nouvelle vie au quartier ».
La politique des grands ensembles a contribué à réduire quantitativement la crise du logement à Montluçon. Ce type d’urbanisme est rapidement abandonné dès le début des années soixante-dix. Il faut même rapidement penser à réhabiliter voire détruire certains de ces immeubles avant même la fin de leur amortissement.
Cette démolition d’immeubles collectifs est actuellement en cours dans les quartiers de Pierre-Leroux et de la Verrerie. Deux ensembles d’immeubles qui avaient il y a environ soixante ans remplacé eux-mêmes deux îlots insalubres : les cités ouvrières des usines Saint-Jacques et le quartier de Brevelle. Ces opérations de démolitions fermeront en quelque sorte la boucle des opérations de rénovations urbaines de ces quartiers ouvriers de Montluçon.