1870 : la variole à Montluçon
À Montluçon, la vaccination semblait pratiquée de manière aléatoire depuis le début du XIXe siècle quand deux épidémies de variole vont soudain toucher le territoire : la première en 1870 et la seconde en 1886-1887. À cette époque, la vaccination comportait d’autres risques et n’assurait pas une protection absolue ; cependant elle réduisait la mortalité et les formes graves.
En 1870-1871, on se trouvait dans un contexte de guerre franco-allemande, mais la vaccination antivariolique était obligatoire pour les militaires des deux pays. Sans statistiques nationales, l’impact de la variole en France n’était pas connu, mais une recrudescence sur Paris avec 10 549 décès de cette maladie constitue néanmoins un indice.
Le rapport du conseil d’hygiène publique de l’année 1869 pour le canton de Montluçon démontre que l’organisation des vaccinations était peu rigoureuse. Cette année-là, le conseil d’hygiène présidé par le sous-préfet, M. Lasserre, comptait quatre médecins (Drs Dechaux, Duché, Dufour, et Pangaud), deux pharmaciens (MM. Meillet et George), un vétérinaire (M. Constant), le directeur des Forges (M. Forey), un juge (M. Bouyonnet d’Armel) et l’adjoint au maire (M. Zegre). Celui-ci nous donne ces indications :
« Le compte rendu de la vaccine établit que pour tout notre arrondissement, sur 3 745 naissances, il y a eu 2 294 vaccinations opérées par les médecins officiels. S’il restait encore 1 451 sujets à vacciner ce serait une immense lacune, mais il faut interpréter les manquants sur les listes administratives par cette observation qu’un grand nombre d’enfants est vacciné par les soins officieux d’autres médecins, par des sages-femmes et par des parents eux-mêmes… »
Pour cette épidémie de 1870, nous n’avons pas de détails précis, mais la suivante est très bien documentée grâce à une publication du docteur Dechaux (1815-1895) « La variole et le croup à Montluçon». Ce médecin montluçonnais, érudit et courageux, intervenait auprès de l’académie de médecine de Paris et était l’auteur de plusieurs ouvrages médicaux.
1886-1887 : Retour de la variole sur l’agglomération
Une nouvelle épidémie de variole avait donc débuté en mai 1886 dans le quartier des usines parmi les ouvriers de la glacerie, de la verrerie et de la forge de Saint-Jacques. Jusqu’en octobre, il n’y avait pas de cas dans la vieille ville mais une dame venue à l’inhumation de son beau-frère va contracter la maladie. Le 15 novembre, l’épidémie avait envahi la cité et la peur s’était emparée de la population. Une forte demande de revaccination se manifestait mais il n’y avait plus assez d’enfants de 1 à 3 mois pour fournir le vaccin primitif, le seul réellement « préservatif » d’après le M. Dechaux. Quel vaccin pouvait être utilisé ? Il y avait alors trois possibilités :
- Vaccination d’enfant de bras à bras (méthode de Jenner)
- Vaccination de génisse à bras
- Inoculation de pulpe vaccinale bovine étendue de glycérine
La première semblait avoir la faveur du médecin. Pourtant la vaccination d’homme à homme était critiquée en raison des risques de surinfections qui avaient été observés, notamment avec la syphilis. Montluçon avait connu une épidémie de syphilis en 1869. Prélever le vaccin sur des enfants diminuait ce risque, mais il n’était pas à exclure car la syphilis était transmissible de la mère à l’enfant. Les autres techniques étaient également risquées, mais le développement de l’asepsie sous l’influence de Pasteur va par la suite permettre d’améliorer les pratiques.
Les jeunes enfants étaient généralement protégés par les anticorps de leur mère et ensuite par la vaccination, cependant les médecins signalent cinq cas particuliers. Trois nouveau-nés avaient développé à la fois la vaccine (cowpox) et la variole (smallpox), et deux autres avaient contracté la variole malgré le vaccin.
Sur les femmes enceintes, la variole provoquait généralement un avortement, mais une exception était signalée. Une femme était décédée de la variole après avoir mis au monde un enfant sain. Par manque de soins et d’allaitement, ce bébé était mort le lendemain. Plusieurs drames familiaux ou individuels sont évoqués par M. Dechaux, avec les réalités et la vision d’un autre temps qui pourraient être critiquables de nos jours.
Pour cette épidémie de 1886, les adultes dans la force de l’âge, entre 20 à 60 ans, étaient les plus touchés. Le nombre de malades était considérable, mais proportionnellement, il y avait moins de morts qu’en 1870. 34 décès sur 368 cas ont été comptabilisés par M. Dechaux, mais ce sont seulement ses patients ou ceux qu’il a eu l’occasion de voir en consultation. Ces chiffres ne reflètent pas la totalité des malades de la ville car il y avait d’autres médecins ; M. Danthon à l’hôpital, M. Dufour, M. Mercier, M. Duché, M. Coulhon, et cette liste n’est pas exhaustive.
Les traitements préconisés par le docteur Dechaux sont assez surprenants pour nous maintenant, mais ils correspondaient aux pratiques de l’époque. Dans les cas bénins, il recommandait le repos et une alimentation légère, des boissons tièdes ou chaudes à base de tilleul, bourrache, quatre-fleurs, des bouillons et des soupes, des potions diaphorétiques et calmantes à l’acétate d’ammoniaque, à l’eau de mélisse et au Laudanum. Dans l’étape ultérieure de la maladie et en hiver, il autorisait un peu de vin dans les boissons et même de petits verres d’hypocras, boisson que la tradition attibue à Hippocrate lui-même, « le plus grand des médecins observateurs de la nature » d’après M. Dechaux. Par ailleurs, ce médecin était aussi un adepte de la saignée d’Hippocrate qu’il pratiquait sur quelques patients et sur lui-même. En 1886, cette pratique était déjà tombée en désuétude, mais dans les cas graves de variole, il la remplaçait par l’application de sangsues à l’anus et surtout aux pieds. Il considérait que les saignements de nez ou la survenue des règles chez les femmes, étaient « des crises heureuses » pour l’issue favorable de la maladie. C’était une sorte de « soupape de sureté » disait-il, qui évitait l’excès de sang et son afflux vers le cerveau, provoquant délire, comma et congestion.
Les femmes et les mères d’ouvriers l’interrogent : « Pourquoi, monsieur, l’épidémie porte-elle presque toute sur nous et que les bourgeois n’en sont pas atteints, ou presque pas, et n’en meurent pas ? Est-ce qu’ils se tiennent plus propres, qu’ils sont mieux logés, mieux nourris, qu’ils ont le corps moins fatigué ? »
En effet, l’hygiène n’était pas à la portée de tous, car l’eau potable n’était pas couramment accessible. L’évacuation des déchets et des eaux usées laissait également à désirer. Un large fossé, situé le long du canal entre le pont de la verrerie et celui de Blanzat, avait été jugé insalubre. De nombreuses familles ouvrières vivaient dans ce quartier, dans des logements exigus, avec peu de meubles. Certains ouvriers avaient 2 à 3 lits pour 4 à 6 enfants. Dans ces conditions précaires, il était difficile de respecter les précautions essentielles pour éviter la contagion au sein de la famille. Malgré cette situation, la mortalité n’avait pas été plus importante dans cette population laborieuse, car les ouvriers des usines bénéficiaient de certains avantages. Le médecin et les remèdes étaient gratuits, ils percevaient une indemnité en cas de maladie et un supplément dans les affections graves et de longue durée.
La crainte de la contagion était variable. Si les soins aux malades et les inhumations se passaient généralement au mieux, ce n’était pas toujours la règle. Certains médecins et curés répandaient la défiance vis-à-vis des malades, qui se retrouvaient alors sans soutien et étaient abandonnés à leur sort. Dans certains quartiers et à Désertines, l’inhumation des victimes était devenue critique, car on ne trouvait pas de porteurs pour les conduire à l’église et au cimetière.
Si la peste a longtemps été considérée comme un « fléau de Dieu », ce n’était pas le cas pour la variole, qui d’après Michel Signoli, aurait pourtant fait autant de victimes. Contrairement au bacille de la peste ou au coronavirus, le virus de la variole était strictement humain. De nombreuses maladies infectieuses émergentes ou réémergentes sont des zoonoses (hommes/animaux) et leur éradication semble d’autant plus difficile. Les virus nous ont précédés et nous survivront probablement ; nous devons donc apprendre à vivre avec et contrôler les menaces des espèces pathogènes. L’éradication globale de la variole a été déclarée par l’OMS le 8 mai 1980.