Chateau-Bien-Assis

Les Amis de Montluçon

Société d'Histoire et d'Archéologie

L’abbé Clément : érudition, archéologie et excursions

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Excursion de 1913

L’abbé Joseph Clément est une figure bien connue de l’érudition locale dans le département de l’Allier. Né à Montluçon le 31 juillet 1860, il y sera également inhumé le 5 mai 1927, trois jours après son décès à Moulins. L’abbé Clément avait acquis une notoriété sur l’ensemble du département de l’Allier dans les cercles érudits grâce à sa grande connaissance de l’histoire du département et plus particulièrement dans le domaine de l’archéologie.

Membre éminent de la Société d’Émulation du Bourbonnais[1], il est en 1899 le promoteur d’une activité nouvelle qui marquera l’histoire de la société savante. En effet, il propose un projet d’excursion. Son idée sera acceptée et reconduite annuellement, et il en sera la cheville ouvrière presque tous les ans jusqu’en 1927. La première excursion de la société d’Émulation du Bourbonnais a lieu le 8 juin 1899. Conçue par Joseph Clément, elle montre comment il concevait les études érudites mais aussi le rapport qu’il entretenait avec les études de terrain et le voyage. En étudiant les excursions de l’abbé Clément, nous apportons donc un regard différent sur l’érudition et l’archéologie tout en comprenant mieux qui était Joseph Clément et la façon dont il abordait l’histoire et l’archéologie.

[1]. Elle portait alors le nom de Société d’Émulation du département de l’Allier.

L’excursion : une activité savante ?

La pratique de l’excursion est devenue une sorte de tradition dans les pratiques des sociétés savantes de l’Allier. La première fut organisée par la Société d’Émulation du Bourbonnais en 1899 et depuis, sauf pendant les conflits mondiaux, une excursion est organisée tous les ans ou presque. La société des Amis de de Montluçon organise également une excursion annuelle. La pratique de l’excursion serait ainsi une activité courante des sociétés savantes.

Pourtant, lorsque l’on sort du département de l’Allier et que l’on étudie l’histoire des sociétés savantes au début du XXesiècle, cette certitude est battue en brèche. En effet, dans son ouvrage qui, bien que relativement ancien, fait encore référence pour l’histoire de l’érudition et des sociétés savantes, Jean-Pierre Chaline[1] ne fait pas particulièrement mention des excursions en établissant la liste des activités de ces sociétés. L’auteur détaille leurs travaux réguliers : les réunions de bureaux, les réunions des sociétaires, les assemblées générales, les séances publiques, l’édition des bulletins, la constitution des musées, la pratique des fouilles archéologiques, la réalisation des inventaires, la conservation d’ouvrages dans les bibliothèques, l’organisation de concours ou de banquets. L’excursion en tant que telle ne semble pas être une activité marquante de la société savante du début du XXe siècle.

Pour l’abbé Clément, mais aussi pour les autres membres de la Société d’Émulation du Bourbonnais, l’excursion était bien une activité savante comme les autres et petit à petit elle était devenue un évènement majeur de la vie de la société. L’influence de l’abbé Clément sur l’organisation des excursions, même après 1907, était réelle.

1899-1926 : 21 excursions pour découvrir et explorer le département de l’Allier ou son voisinage

Entre 1898 et 1926, l’abbé Clément a participé à 21 excursions sur 23 organisées par la Société d’Émulation du Bourbonnais.

Le procès-verbal de 1907 montre que deux conceptions de l’excursion s’opposaient au sein de la société[2]. La première était assez simple : l’excursion devait être une activité ludique permettant à ses participant de voir des monuments et des sites historiques au cours d’une promenade. Cette conception de l’excursion était ainsi un moyen de créer des liens entre les membres de la société en partageant un moment agréable et sympathique. Elle se rapprochait de la visite guidée et de l’activité touristique.

La seconde conception, qui était celle de Joseph Clément, était plus universitaire : l’excursion devait être une sortie sur le terrain pour étudier les sites archéologiques, les bâtiments historiques civils et religieux, l’histoire d’un territoire.

L’extrait du rapport sur l’excursion de 1900[3] est certainement le plus parlant pour montrer que Joseph Clément considérait l’excursion, avant tout, comme un travail d’érudition. Le titre est en lui-même très évocateur puisqu’il s’agit de préparer une excursion « scientifique et pittoresque ». Nous retrouvons ici les deux approches qui se heurtaient dans la façon de concevoir les excursions. Notons toutefois que l’abbé Clément met bien en avant le côté scientifique, qui, placé en premier, prend le pas sur l’aspect pittoresque. Il fait ensuite un programme détaillé des lieux et sites qui seront visités, ce qui montre que des travaux de recherches ont été réalisées avant l’excursion.

Ceci-dit, si le caractère scientifique que voulait imprimer Joseph Clément est prépondérant dans la façon dont les premières excursions sont construites, l’impératif de convivialité n’est pas oublié. Toujours dans le rapport préparatoire de 1900, les excursionnistes qui prenaient le train à Moulins pour se rendre à Gannat étaient invités à voyager tous en troisième classe afin de rester ensemble et de permettre à tous les participants d’échanger sur les sites et lieux visités.

les excursions de l’abbé Clément dans l’Allier

1899-1926

La carte montrant la répartition des excursions entre 1899 et 1926 confirme que l’abbé Clément concevait bien l’excursion comme une activité érudite. Même s’il ne les organise pas toutes directement, les comptes rendus qu’il rédige en partie, qu’il illustre ou pour lesquels il fournit des renseignements montrent que l’abbé Clément influence la plupart du temps – sauf en 1907 – le choix du programme de l’excursion[4]. Or, d’après la carte, nous pouvons faire deux remarques :

  • La partie est de l’Allier dans une grande zone allant de Belleperche à Gannat puis Chatel-Montagne et la vallée de la Besbre a été la zone la plus explorée.
  • Par deux fois, les excursions sont allées légèrement au-delà des frontières de l’Allier.

[1]. Chaline (J-P.), Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France, Paris, C.T.H.S., 1995.

  1. Cf. page 4.

[3]. Clément (J.) : « Extrait du rapport sur l’excursion scientifique et pittoresque des membres de la société d’émulation et des beaux-arts de l’Allier », Bulletin de la Société d’Émulation et des Beaux-Arts de l’Allier, 1900, pp. 127-130.

[4]. Sauf en 1907

L’organisation des excursions : les aspects matériels

Au début du XXe siècle, avec le chemin de fer et ses petites lignes locales, les déplacements à l’intérieur du département étaient facilités. Ceci dit, les temps de trajets étaient longs. Lors de la première excursion, le départ des excursionnistes à la gare de Moulins était fixé à 5 h 40. L’arrivée en gare de Montluçon aux alentours de 8 h 30 montre l’importance du temps de trajet. Le compte rendu de l’excursion de 1899 indique d’ailleurs que l’allure tranquille du train doit être mise à profit pour admirer les églises et les châteaux visibles sur le trajet. À Montluçon, le groupe reprend le train jusqu’à la station de Chanon. Là, il loue des voitures hippomobiles pour se rendre jusqu’à Toulx-Sainte-Croix dans l’objectif d’étudier les Pierres Jaumâtres. Lors du retour, une étape est marquée à Boussac et une autre à Lavaufranche avant de retourner à Montluçon pour prendre un train qui arrivait à Moulins à 21 h 30. Les participants de cette première excursion ont donc effectué un périple de presque 16 heures entre le départ et le retour à Moulins.

L’excursion demande donc du temps, et les sociétaires doivent pouvoir disposer de ce temps. En outre, participer à l’excursion a également un coût. Ainsi, en comptant les repas, le train et la location des voitures, l’excursion de 1900 était estimée par Francis Perrot à 9 francs 95, somme dont chaque excursionniste était invité à s’acquitter auprès de la société. À titre de comparaison, en 1900-1910, un ouvrier des filatures textiles de Lille gagnait en moyenne un salaire de 4,20 francs par jour, et un contremaître 6 francs.

Des horaires très serrés

Les programmes d’étude et de visites prévus par l’abbé Clément montrent également que l’organisation matérielle de l’excursion se devait d’être d’une précision absolue. Le programme de l’excursion de 1909 donne un bon exemple. Tout est prévu en détail : une arrivée à Coulandon à 7 h 15 pour un départ à 7 h 40 afin d’arriver au château de Montaret à 8 h 15. La visite ne doit pas dépasser 20 minutes pour pouvoir arriver à Souvigny à 9 h 15 jusqu’à l’heure du déjeuner à 11 h 30. L’après-midi qui commence à 13 h se poursuit sur un rythme soutenu : 13 h 15, château de Materée ; 14 h, château d’Issards ; 14 h 50, église d’Autry ; 15 h 40, château de Plessis ; 16 h 50, visite de Saint-Maurice ; 17 h 45, visite du couvent des cordeliers. Le train du départ est prévu pour 18 h 10.

Comme le montre le programme, tous les arrêts trouvent une justification d’étude archéologique monumentale et ont pour but d’apprendre et enrichir les connaissances des participants. Le seul moment uniquement festif avait lieu lors du déjeuner, mais il ne devait pas dépasser une heure trente.

Les détails de l’organisation nous montrent également une évolution dans le temps des conditions matérielles de l’exploration du département de l’Allier. Si l’excursion de 1898 faisait appel au train et aux voitures hippomobiles, 23 ans plus tard l’excursion du 7 juillet 1921 se fait dans « de confortables cars et des autos particulières ». Le départ était toujours fixé tôt le matin (6 h 15 à Moulins), mais les excursionnistes parviennent au château d’Abrest à 7 heures. La souplesse du transport automobile, qui permettait de parcourir des distances importantes, facilitait ainsi l’organisation puisqu’il n’y avait plus à se soucier de la contrainte des horaires du chemin de fer ni de la présence des gares.

Savants, érudits, aventuriers, curieux, touristes : qui étaient les excursionnistes ?

L’étude des participants aux excursions en dit long sur la nature de ces activités et sur l’influence de l’abbé Clément dans l’organisation. Jusqu’en 1925, il participe à 20 excursions sur 23. La nature même de ces excursions va influencer la composition des groupes d’excursionnistes. Nous avons vu qu’un débat avait lieu au sein de la société pour savoir si l’excursion devait prendre la forme d’un voyage d’étude ou d’une sortie touristique. Clément était favorable au voyage d’étude mais en 1907, le président de la société demande une réorientation vers une excursion ludique. Dans le même temps, les comptes rendus montrent un important travail de recherche, de préparation et de documentation effectué par Joseph Clément qui associe à son travail plusieurs auteurs dont il coordonne le travail.

Dans cette configuration, nous pouvons alors nous poser la question de savoir quel était le profil des excursionnistes pour comprendre ce qui attiraient les membres de la Société d’Émulation dans cette activité.

La première chose que nous pouvons remarquer, c’est une augmentation constante du nombre des participants jusqu’en 1921. Puis le graphique montre une baisse significative après 1922 puisque l’on passe alors de 79 à 44 puis à 32. Or, cela correspond aux années où l’abbé Clément ne participe plus aux excursions, ni physiquement, ni à la préparation, ni à la rédaction du compte-rendu.

Outre les effectifs des excursions, il faut s’interroger sur qui étaient les excursionnistes pour savoir si une évolution a eu lieu au fil du temps. Nous remarquons d’abord une place importante des femmes puisque dès la seconde excursion, l’abbé Clément propose aux autres membres de la société d’ouvrir l’excursion aux femmes.

Les profils des excursionnistes étaient cependant beaucoup plus variés. Une partie d’entre eux participaient vraisemblablement à l’excursion dans le but d’effectuer un voyage d’étude sur le terrain. Les photographies prisent lors de la première excursion montrent des hommes[1] en action qui étudient les Pierres Jaumâtres, alors considérées comme des mégalithes.

 De plus, en 1904, nous notons la présence de Joseph Déchelette (1862-1914). Considéré comme un des fondateurs de l’archéologie française moderne, il est né à Roanne où il devint conservateur du musée en 1892. Cette présence montre que l’abbé Clément était en relation avec des personnalités d’envergure nationale (ils étaient tous deux membres de la Société Française d’Archéologie) et que les excursions organisées par la Société d’Émulation avaient effectivement un caractère savant tel que le concevait l’abbé Clément.

 Ce côté savant de l’excursion s’accompagne également d’un goût de l’aventure, présent lors de la première excursion. Le compte rendu de l’excursion de 1898 fait ainsi allusion au fait de ne pas oublier que les participants étaient bien membres d’une académie en voyage d’étude et qu’ils ne devaient pas être confondus avec un groupe parti à l’aventure. L’observation des

Les photographies prises lors des excursions montrent la diversité des attitudes et tenues vestimentaires des excursionnistes. Par exemple, le personnage encadré en bleu sur la photographie, très assidu aux excursions, est coiffé d’un chapeau, chaussé de bottes d’équitation, et tient une cravache à la main. Cette tenue rappelle étrangement celle des explorateurs qui étaient dessinés en première page du Petit Journal et que l’on pouvait voir sur les photographies évoquant l’empire colonial. De plus, nous ne devons pas oublier que la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle fut une époque où les récits de voyage des grands explorateurs européens comme Burton et Speek étaient de véritables best-sellers. Ce goût pour les voyages d’explorations était très présent dans la culture de l’époque et il ne faut pas s’étonner que des excursionnistes aient pu considérer qu’ils se lançaient dans un véritable voyage d’exploration de l’Allier et que l’excursion s’apparentait à une aventure locale.

Conclusion

Initiateur des excursions de la Société d’Émulation du Bourbonnais, l’abbé Clément a imprimé pour longtemps sa marque sur cette activité érudite. Si un débat au sein de la Société d’Émulation existait bien quant à la nature à donner à ces excursions, l’abbé Clément est parvenu à maintenir pendant près de vingt ans un caractère savant aux excursions qui n’empêchait en rien un caractère plus ludique se rapprochant de la visite touristique. Partisan de l’érudition, homme de terrain autant que de bibliothèque, du moins dans la première moitié de sa vie, l’abbé Clément concevait ces excursions comme des voyages d’étude, et le succès rencontré en terme de participants montre que cette vision savante de l’excursion était bien en adéquation avec les attentes des membres de la Société d’Émulation et plus généralement des cercles érudits de l’Allier.

[1]. Lors de cette première excursion, les femmes n’étaient pas admises.

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